Jordi Inglada
11 Mar 2015

Ceci n'est pas un titre

Lors du dernier billet, j'ai essayé d'expliquer comment, à partir de théories mathématiques et d'analogies entre des modèles de calcul et des systèmes physiques, on peut légitimement mettre en question l'existence du libre arbitre. J'ai donnée quelques références vers des références qui expliquent tout cela bien mieux que ce que j'ai pu écrire.

Souvent, les gens qui se réclament des philosophies de type existentialiste ont beaucoup de mal à accepter ce genre de raisonnement, qui nie la possibilité de la liberté au sens classique. Ceci est complètement contradictoire avec la phrase de Sartre :

« il n'y a pas de déterminisme, l'homme est libre, l'homme est liberté »1

La philosophie, comme la sociologie, étant un sport de combat, le débat avec les philosophes du libre arbitre se termine souvent par un commentaire du genre :

"S'il n'y a pas de libre arbitre, pourquoi essayes-tu de me convaincre? Si tu crois pouvoir me convaincre, cela veut dire que tu crois pouvoir me changer et que donc tout ne serait pas déterminé à l'avance."

Au delà du fait que cette argumentation peut être démontée facilement ("j'essaye de te convaincre parce que je suis déterminé ainsi", et vlan!), elle n'a aucun intérêt. Et c'est bien dommage, car je cherche désespérément quelqu'un qui pourrait me donner des éléments scientifiques qui démontrent l'existence de ce libre arbitre tant adoré.

Souvent, les arguments pour dire que le réductionnisme scientifique ne marche pas, sont basés sur le fait que le démon de Laplace date du début du XIXè siècle et que depuis on a développé la théorie du chaos qui démontrerait que Laplace avait tort. On sait que ce raisonnement confond les notions d'aléatoire et de prédictible et qu'il est donc faux.

Si avant la séparation entre science et philosophie (à partir de Galilée), on pouvait accepter que la philosophie était le savoir, depuis que la méthode scientifique a été formalisée, on ne devrait pas accepter comme possible ce qui n'est pas réfutable.

Il est paradoxal de constater que les philosophies athées font souvent appel à cette démarche pour défendre leurs positions (et c'est très bien!). Mais quand il s'agit de remettre en cause le libre arbitre, la machine déraille et la réaction de l'athée libertaire, libertarien, libéral ou libertin est de devenir dualiste et dire qu'il ne s'agit plus de processus physiologiques (donc physiques) mais de processus psychologiques et que donc, par conséquence, les lois de la physique ne s'appliquent plus. Pour moi, ceci relève de la pensée magique et s'éloigne de la science.

Il est vrai que je suis plutôt du côté de Rutherford :

"All science is either physics or stamp collecting"2

Il y a tout de même des philosophes qui s'intéressent à l'interface entre physique et biologie et ils ont l'air de le faire sérieusement. Mais cela reste de la physique (par opposition à la métaphysique). Ces travaux font référence à la notion d'autopoïèse qui elle est liée aux concepts évoqués lors de la présentation du Game of Life.

Je serais ravi de découvrir des approches scientifiques qui expliqueraient la dualité entre corps et âme, entre physiologie et psychologie, entre matériel et spirituel.

Et non, l'émergence ne compte pas, car le concept philosophique de "le tout est plus que la somme de ses parties" ne va pas bien loin et quand on fouille un peu dedans on se rend compte que cela reste explicable par les propriétés de la matière.

Il ne s'agit pas là d'une vision du monde qui manque de poésie, puisque nous sommes de la poussière d'étoiles! Malheureusement, il y a des allergiques à la poussière un peu partout.

Je comprends l'angoisse de l'existentialiste (à ne pas confondre avec l'angoisse existentielle) qui se rend compte de l'absence de libre arbitre, mais une fois qu'on a compris ça, ce serait de la mauvaise foi (de la vraie, et non pas celle de l'existentialisme) que de continuer à s'y opposer. Si ce n'est pas de la mauvaise foi, c'est alors peut-être un manque de compréhension de la notion d'auto-référence, avec laquelle on peut expliquer certains phénomènes d'émergence, le mécanisme de la conscience, etc.

Mais il est bien connu que la première chose qu'il faut faire pour comprendre l'auto-référence est de comprendre l'auto-référence! Et comme l'écrivait Kurt G. dans son journal intime un matin avant un départ en randonnée, "on n'est pas sortis de l'auberge"!

Footnotes:

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