Jordi Inglada

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13 May 2023

La guerre génère les soldats dont elle a besoin

Un ensemble de citations qui se répondent et dont le dialogue aurait pu être écrit par un LLM, tant les guerres récentes sur des territoires supposés être à l’abri de tensions économiques nos ont surpris

Dans Les dix millenaires oublies qui ont fait l’Histoire1, Jean-Paul Demoule écrit :

Les ethnologues ont relevé chez les sociétés traditionnelles deux grandes formes de guerre, qui peuvent se combiner, les unes plutôt de nature symbolique et idéologique, les autres aux buts plutôt économiques, au sens large.

Selon Demoule, une guerre économique

[…] a pour but l'obtention d'avantages que les négociations et échanges en temps de paix n'ont pu finalement atteindre. C'est la formule bien connue et posthume de l'officier prussien , mort en 1831 et vétéran des guerres napoléoniennes , Carl von Clausewitz : « La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens. » Il s'agit de s'emparer d'un territoire, de richesses, de contrôler des voies d'accès stratégiques, ou encore de s'assurer des épouses, thème aussi bien attesté dans les observations ethnographiques que dans les mythologies anciennes - de l'enlèvement des femmes lapithes par les centaures en Grèce ou de celui des Sabines par les Romains -, voire dans certaines guerres actuelles, avec la multiplication des viols ou des mariages forcés.

Mais d’après Harari, les guerres économiques auraient tendance à disparaître (et Putin ne fait qu’une guerre idéologique?)

  1. Le nouvel ordre du jour humain Homo Deus_ une breve histoire de l'avenir - Yuval Noah Harari.epub

    […] l'économie mondiale ne se fonde plus sur les matières premières mais sur le savoir. Auparavant, les principales sources de richesse étaient les actifs matériels, comme les mines d'or, les champs de blé et les puits de pétrole. De nos jours, le savoir est la principale source de richesse. Et si l'on peut conquérir des champs de pétrole par les armes, on ne saurait acquérir le savoir ainsi. La connaissance étant devenue la ressource économique la plus importante, la rentabilité de la guerre a décliné, et les guerres se sont de plus en plus cantonnées aux parties du monde - comme le Moyen-Orient et l'Afrique centrale - qui reposent encore sur des économies à l'ancienne, à base matérielle.

Une vision un peu simpliste? Les guerres dans ces zones sont crées par les pays détenteurs du «savoir» et qui ont des économies à base non matérielle.

Chap 3. Liberté 21 Lecons pour le XXIeme siecle - Yuval Noah Harari.epub

L'obéissance aveugle n'est pas un mal en soi, bien entendu, du moment que les robots servent des maîtres bienveillants. Le recours à des robots tueurs pourrait par exemple garantir le respect des lois de la guerre sur le champ de bataille pour la première fois de l'histoire. Il arrive que leurs émotions poussent les soldats à tuer gratuitement, à piller et violer au mépris des lois de la guerre. Nous associons habituellement les émotions à la compassion, à l'amour et à l'empathie, mais en temps de guerre les émotions qui dominent sont trop souvent la peur, la haine et la cruauté. Les robots étant privés d'émotions, on pourrait compter sur eux pour s'en tenir à la lettre au code militaire et ne jamais se laisser emporter par des peurs et des haines personnelles(23).

https://www.mediapart.fr/journal/economie/310322/le-temps-des-rationnements Martine Orange]]

31 mars 2022 à 19h07 On ne peut pas prendre des sanctions contre les pays puissants

Soulignant les sanctions sans précédent prises contre la Russie, et les effets provoqués sur l'ensemble de l'économie mondiale, l'historien Nicholas Mulder met en garde dans un récent article de Foreign Affairs: « Utiliser des sanctions contre de très grandes économies n'est pas possible sans des mesures de compensation qui aident à soutenir les économies des pays qui ont pris les sanctions [le bloc atlantique - ndlr] et le reste du monde », prévient-il.

Dans La fin de la megamachine2, Fabian Scheidler écrit :

Une fois la guerre déclenchée, elle engendre par ailleurs, à mesure qu’elle détruit les conditions de vie des gens qui se trouvent sur son chemin, une armée de déracinés prêts à assurer la relève militaire. De cette manière, la guerre génère elle-même les soldats dont elle a besoin.

À l'inverse, une fois la guerre terminée, ceux dont la seule compétence est de faire la guerre, peuvent avoir tendance à se réconvertir dans le banditisme ou la mafia. Leur existence justifie le mantien d'un état sécuritaire et donc de forces armées ou de police pour s’en défendre.

Peut-on donc vivre sans guerre (chaude ou froide) et sans course à l'armement?

De son côté, Yuval Noah Harari dans Sapiens3

La menace d'un holocauste nucléaire favorise le pacifisme ; quand le pacifisme progresse, la guerre recule et le commerce fleurit ; et le commerce augmente à la fois les profits de la paix et les coûts de la guerre.

La conséquence de serait qu'aucun pays est indépendant et ne peut lancer unilatéralement une guerre de grande ampleur. On assiste donc à a naissance d'un grand empire mondial, et comme tous les empires, il fait régner la paix à l'intérieur de ses frontières.

Footnotes:

1

Chapitre 7. Qui a inventé la guerre (et les massacres) ?

2

Chapitre 6. - Monstres - La réorganisation du pouvoir et la naissance du système-monde moderne (1348-1648). https://www.megamachine.fr/

Tags: fr war army guerre armee
15 Apr 2023

Modernisation du SI, suites bureautiques dans le nuage et protection des secrets industriels

Les DSI1 des moyennes et grandes entreprises sont fatiguées de devoir maintenir et mettre à jour des centaines ou des milliers de postes de travail alors que l’informatique n’est pas cœur de métier de la boîte2. En plus, les informaticiens compétents ayant une bonne hygiène corporelle sont difficiles à trouver.

La réponse est évidemment de se tourner vers les « solutions » en ligne, le SaaS (Software as a Service), le cloud. C’est simple : le poste utilisateur peut se limiter à un terminal avec un navigateur internet qui se connectera aux serveurs de Microsoft ou de Google (les 2 fournisseurs principaux). Plus besoin d’installation locale de suite Office, plus besoin de mise à jour ou de montée en version, plus besoin de sauvegardes. C’est le fournisseur qui s’occupe de tout, les logiciels tournent chez lui et les documents produits sont aussi hébergés sur ses machines.

C’est simple, c’est dans le nuage : c’est la modernisation du SI !

Cependant, certaines entreprises sont trop à cheval sur la propriété intellectuelle, la souveraineté numérique et même la PPST ou le RGPD. Elles pourraient donc être réticentes à adopter ce type de solution. En effet, il peut être délicat de stocker des informations confidentielles sur des serveurs que l’on ne maîtrise pas. Mais comment rester compétitif face à ceux qui sont disruptifs, bougent vite et qui ne se laissent pas embêter par des amish ?

D’après les fournisseurs, il n’y a pas de crainte à avoir, car les solutions proposées permettent d’activer le chiffrement côté client. Ceci veut dire que les flux de données entre le poste utilisateur et les serveurs du fournisseur sont chiffrés cryptographiquement par une clé que seulement le client possède. La conséquence est que les documents stockés chez le fournisseur sont illisibles pour lui, car il n’a pas la clé.

Nous voilà rassurés. C’est sans doute pour cela que Airbus utilise Google Workspace3 ou que Thales utilise Microsoft 365. Par ailleurs, Thales est partenaire de Microsoft pour le développement des techniques de chiffrage. Cocorico !

Du coup, les appels d’offres de l’État français pour des suites bureautiques souveraines semblent ne pas avoir de sens. Surtout, qu’il y a aussi des partenariats franco-américains de « cloud de confiance » qui vont bientôt voir le jour. Mais il reste des questions à se poser. Par exemple, on peut lister ces points de vigilance :

Pourquoi le chiffrement côté client n’est-il pas fiable ? Pour commencer, ce chiffrement n’est pas complet : beaucoup d’informations sont accessibles en clair pour le fournisseur. Par exemple, les noms des documents, les entêtes des e-mails, les listes des participants à des réunions, etc. Les flux vidéo et audio seraient chiffrés, mais, même le fournisseur officiel de chiffrement pour Microsoft écrit ça dans les invitations à des visioconférences sur Teams :

Reminder: No content above "THALES GROUP LIMITED DISTRIBUTION” / “THALES GROUP INTERNAL" and no country eyes information can be discussed/presented on Teams.

Petite explication de « country eyes » par ici4.

Mais il y a un autre aspect plus intéressant concernant le chiffrement côté client. Ce chiffrement est fait par un logiciel du fournisseur pour lequel le client n’a pas le code source. Donc il n’y a aucune garantie que ce chiffrement est fait ou qu’il est fait proprement. On pourrait rétorquer que les logiciels peuvent être audités : le fournisseur vous laisse regarder le code ou il vous permet d’étudier le flux réseau pour que vous soyez rassuré. On peut répondre : dieselgate, c’est-à-dire, il n’y a aucune garantie que le logiciel se comporte de la même façon pendant l’audit que le reste du temps. De plus, vu que le fournisseur gère les mises à jour du logiciel, il n’y a pas de garantie que la version auditée corresponde à celle qui est vraiment utilisée.

Il semblerait donc que la vraie « solution » soit d’héberger ses propres données et logiciels et que le code source de ces derniers soit disponible. Le cloud suzerain5 n’est pas une fatalité.

Footnotes:

1

Direction des Systèmes d’Information, le département informatique.

2

Il y a aussi des entreprises dont l’informatique est le cœur de métier qui font aussi ce que je décris par la suite.

3

On a fait un long chemin depuis que Airbus portait plainte pour espionnage industriel de la part des USA. Depuis Snowden, on sait que la NSA s’abreuve directement chez les GAFAM.

4

"A surveillance alliance is an agreement between multiple countries to share their intelligence with one another. This includes things like the browsing history of any user that is of interest to one of the member countries. Five eyes and Fourteen eyes are two alliances of 5 and 14 countries respectively that agree to share information with one another wherever it is mutually beneficial. They were originally made during the cold war as a means of working together to overcome a common enemy (the soviet union) but still exist today." https://www.securitymadesimple.org/cybersecurity-blog/fourteen-eyes-surveillance-explained

5

Non, pas de coquille ici.

Tags: fr open-source free-software cloud GAFAM
27 May 2022

Lottosup

Parcoursup est une machine à frustrations.

Les règles de classement des candidats par chaque formation sont opaques. Dans les formations sélectives, l'écart de notation entre les dossiers des admis et de ceux non admis peut être extrêmement faible. Du fait que les bulletins de notes ont un poids non négligeable, on peut se poser la question de l'équité entre élèves de classes et d'établissements différents.

À cela, il faut ajouter l'angoisse de devoir faire des choix dans un temps limité avant de perdre l'accès à des formations où le candidat est accepté.

Tout cela fait que Parcoursup est un Lotto géant où ceux qui sont mal conseillés risquent de perdre.

J'ai fait un petit programme qui permet de jouer à Parcoursup pour apprendre à gérer le stress auquel élèves et parents serons soumis.

L'interface utilisateur est rudimentaire, mais je ne sais pas faire aussi joli que les EdTech!

Attention!

C'est une simulation qui utilise le hasard pour générer des scénarios. Ce que vous obtiendrez, même si vous rentrez correctement les données correspondant à vos vœux Parcoursup, ce sont des résultats aléatoires. Cependant, ce n'est pas n'importe quoi!

Le simulateur utilise votre rang dans votre classe pour vous attribuer un rang dans chaque formation. Le taux d'acceptation de chaque formation est aussi utilisé. La simulation de l'évolution des listes d'attente essaie d'être plausible, mais j'ai fait des choix arbitraires. Si cela vous intéresse, regardez le code. J'ai essayé de le documenter avec des explications détaillées.

Entre 2 parties du jeu, même si vous gardez les mêmes données d'entrée, les résultats seront différents. L'idée est que vous puissiez faire plein de simulations pour être confrontés à des choix qui ressemblent à ceux que vous pourriez être amenés à faire.

Installation

Vous aurez besoin de Python 3.x. Autrement, il suffit de récupérer le fichier lottosup.py.

Vous devez adapter le programme à votre cas à votre cas particulier.

D'abord, vous devez modifier les valeurs suivantes :

# Votre rang dans votre classe
RANG_CLASSE = 15

# Nombre d'élèves dans votre classe
TAILLE_CLASSE = 35

Ensuite, vous devez rentrer vos vœux :

# Un voeux est un tuple ("nom", nb_places, rang_dernier_2021, taux_acceptation)
VOEUX = [
    (
        "MIT - Aerospace",
        60,
        296,
        0.1,
    ),
    (
        "Élite - Youtubeur ",
        25,
        79,
        0.1,
    ),
    (
        "Oxford - Maths",
        25,
        41,
        0.1,
    ),
    (
        "Stanford - Artificial Intelligence",
        42,
        322,
        0.1,
    ),
    (
        "HEC pour fils à Papa",
        20,
        58,
        0.1,
    ),
    ("Fac de truc qui sert à rien", 1500, 145300, 0.9999),
    ("Éleveur de chèvres dans les Pyrénées", 180, 652, 0.1),
]

Les informations nécessaires (nombre de places, rang du dernier accepté l'année précédente et taux d'acceptation) sont disponibles dans votre espace Parcoursup.

Tuto indispensable

Vous pouvez lancer le programme en ligne de commande comme ceci :

python lottosup.py

Si vous utilisez un éditeur comme Pyzo ou Spyder, vous pouvez simplement exécuter le programme depuis l'éditeur.

Une fois lancé, vous aurez ceci :

$ python lottosup.py 
Bienvenue dans LottoSup™.
Appuyez sur une touche pour jouer!

Appuyez sur une touche pour lancer la machine infernale et retrouver les résultats du premier jour. Vous pourriez avoir, par exemple, ce résultat :

################# Jour 1 #####################

        ======== Status.ACCEPT ========
6) Fac de truc qui sert à rien
        1500 places - rang 2021 : 145300
        votre rang : 655 - rang dernier : 4929
        date limite : jour 5
        Statut : Status.ACCEPT 🎉

        ======== Status.WAIT ========
2) Élite - Youtubeur 
        25 places - rang 2021 : 79
        votre rang : 82 - rang dernier : 27
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

4) Stanford - Artificial Intelligence
        42 places - rang 2021 : 322
        votre rang : 182 - rang dernier : 64
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

1) MIT - Aerospace
        60 places - rang 2021 : 296
        votre rang : 259 - rang dernier : 66
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

7) Éleveur de chèvres dans les Pyrénées
        180 places - rang 2021 : 652
        votre rang : 782 - rang dernier : 191
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

Acceptation définitive [idx ou 0] :     

On peut voir la liste des formations où vous êtes accepté et celles où vous êtes en liste d'attente. Pour chaque formation, vous avez les informations que Parcoursup est censé vous donner :

  • le nombre de places dans la formation
  • le rang (classement) du dernier qui a été accepté l'année précédente
  • votre rang pour cette formation
  • le rang du dernier à avoir été accepté cette année (si votre rang est inférieur, vous êtes accepté, sinon, vous êtes en liste d'attente)
  • la date limite de réponse pour cette formation avant que l'offre d'acceptation expire (si vous êtes en liste d'attente, cette date correspond au dernier jour de la phase principale, que j'ai fixé à 45)

Ensuite, vous devez faire vos choix. Il faut d'abord répondre si vous voulez accepter définitivement une formation où vous êtes accepté. Rentrez le numéro qui apparaît dans la liste, à gauche du nom de la formation (6 dans l'exemple ci-dessus). Pour ne pas faire de choix, rentrez 0. Si vous acceptez une formation, le jeu est fini.

On vous demande ensuite si vous voulez faire une acceptation temporaire :

Acceptation temporaire [idx ou 0] : 

Si vous faites une acceptation temporaire, vous refusez automatiquement toutes les autres où vous êtes accepté, mais cela n'a pas d'impact sur la liste d'attente.

La question suivante concerne les formations que vous voulez refuser :

Rejets [id1 id2 ... ou 0] : 

Ici, on peut donner une liste d'indices parmi ceux des formations où vous êtes accepté ou en liste d'attente. Elles disparaîtront de la liste le jour suivant. Si vous ne voulez rien refuser, rentrez 0.

Et on passe au jour suivant. Il se peut que rien ne change, mais probablement, le rang du dernier accepté dans les formations va évoluer. Ceci peut vous permettre d'être accepté à d'autres formations.

Quand on arrive au jour 5, c'est la date d'expiration des offres que vous avez reçu jusque là :

################# Jour 5 #####################

        ======== Status.ACCEPT ========
6) Fac de truc qui sert à rien
        1500 places - rang 2021 : 145300
        votre rang : 655 - rang dernier : 42447
        date limite : jour 5
        Statut : Status.ACCEPT 🎉

        ======== Status.WAIT ========
2) Élite - Youtubeur 
        25 places - rang 2021 : 79
        votre rang : 82 - rang dernier : 31
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

4) Stanford - Artificial Intelligence
        42 places - rang 2021 : 322
        votre rang : 182 - rang dernier : 84
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

1) MIT - Aerospace
        60 places - rang 2021 : 296
        votre rang : 259 - rang dernier : 91
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

7) Éleveur de chèvres dans les Pyrénées
        180 places - rang 2021 : 652
        votre rang : 782 - rang dernier : 285
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

Acceptation définitive [idx ou 0] :   

Ici, si je ne fais pas une acceptation temporaire de la formation no. 6, elle disparaîtra le jour suivant. Si je l'accepte temporairement, sa date limite de réponse est repoussée à la fin de la phase principale de Parcoursup. Voici mes réponses :

Acceptation définitive [idx ou 0] : 0 
Acceptation temporaire [idx ou 0] : 6
Rejets [id1 id2 ... ou 0] : 0

Et donc le jour suivant j'ai ça :

################# Jour 6 #####################

        ======== Status.ACCEPT ========
6) Fac de truc qui sert à rien
        1500 places - rang 2021 : 145300
        votre rang : 655 - rang dernier : 45414
        date limite : jour 45
        Statut : Status.ACCEPT 🎉

        ======== Status.WAIT ========
2) Élite - Youtubeur 
        25 places - rang 2021 : 79
        votre rang : 82 - rang dernier : 31
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

4) Stanford - Artificial Intelligence
        42 places - rang 2021 : 322
        votre rang : 182 - rang dernier : 84
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

1) MIT - Aerospace
        60 places - rang 2021 : 296
        votre rang : 259 - rang dernier : 97
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

7) Éleveur de chèvres dans les Pyrénées
        180 places - rang 2021 : 652
        votre rang : 782 - rang dernier : 307
        date limite : jour 45
        Statut : Status.WAIT ⏳

J'ai donc assuré une formation et je peux attendre de remonter dans la liste d'attente. Il ne me reste que 51 places pour apprendre à devenir Youtubeur.

Quelques détails de mise en œuvre

J'ai seulement utilisé des modules disponibles dans la bibliothèque standard Python. J'avais fait une première version qui utilisait Numpy pour les tirages aléatoires, mais finalement le module math contient tout, y compris le tirage avec une loi exponentielle.

import math
import random
import sys
from enum import Enum, auto

Chaque formation a un état différent (acceptation, liste d'attente, etc.). Je modélise ça avec des énumérations. Ce sont des ensembles de valeurs restreintes :

class Status(Enum):
    ACCEPT = "🎉"  # la formation a accepté
    WAIT = "⏳"
    REJECT = "☠️"  # la formation a rejeté
    DROP = "💪"  # le candidat a rejeté
    EXPIRED = "⌛"  # date limite dépassée
    CHECK = "☑️"  # le candidat a accepté définitivement

Les réponses des candidats aux propositions d'acceptation ou de liste d'attente, sont modélisées de la même façon :

class Choix(Enum):
    WAIT = auto()  # le candidat maintient l'attente
    DROP = auto()  # le candidat a rejeté
    CHECK = auto()  # le candidat a accepté définitvement
    ACCEPT = auto()  # acceptation non définitive

Cela peut sembler redondant, mais les valeurs ne sont pas les mêmes et, surtout, elles n'ont pas la même signification. Par exemple, ACCEPT de la part du candidat veut dire qu'il réserve une place, tandis qu'un ACCEPT de la part d'une formation, ne veut pas dire que le candidat accepte.

Ensuite, je modélise chaque formation par une classe. Le candidat a un rang dans la formation et les acceptations se font en fonction du nombre de places disponibles et le rang du candidat. On gère une liste d'attente qui s'actualise chaque jour en fonction des refus des autres candidats.

class Formation:
    def __init__(self, idx, nom, places, rang_dernier_2021, taux_accept):
        self.nom = nom
        self.idx = idx
        self.total_places = places
        self.rang_dernier_2021 = rang_dernier_2021
        self.rang_dernier = self.total_places
        self.taux_acceptation = taux_accept
        self.votre_rang = self.compute_rang()
        self.date_limite = DUREE_PS  # jour limite pour répondre
        self.places_disponibles = self.total_places
        self.status = None  # statut du candidat dans la formation

La méthode __init__ est le constructeur de la classe. Elle initialise la formation à partir des paramètres suivants :

idx
un indice unique pour chaque formation qui nous permettra de gérer les réponses de l'utilisateur
nom
le nom de la formation (pour l'affichage)
places
nombre de places disponibles
rang_dernier_2021
rang du dernier candidat admis l'année précédente
taux_accept
le taux d'acceptation de la formation

Afin de pouvoir afficher une formation avec print(), nous définissons la méthode =__repr__= :

    def __repr__(self):
        """ Pour un affichage avec print()"""
        return (
            f"{self.idx}) {self.nom}\n"
            f"\t{self.total_places} places -"
            f" rang 2021 : {self.rang_dernier_2021}\n"
            f"\tvotre rang : {self.votre_rang} -"
            f" rang dernier : {self.rang_dernier}\n"
            f"\tdate limite : jour {self.date_limite}\n"
            f"\tStatut : {self.status} {self.status.value}\n"
        )

Plus intéressante est la façon de définir le rang du candidat (son classement) dans la formation. Avec le nombre de places et le taux d'acceptation, on calcule le nombre de candidats. Le rang du candidat parmi tous les autres est calculé à partir du rang dans sa classe par une simple règle de trois. Pour donner un peu de réalisme, on fait un tirage aléatoire avec une loi gaussienne de moyenne égale à ce rang et un écart type de 10 (parce que!). La gaussienne étant à support non borné, on coupe entre 0 et le nombre de candidats.

    def compute_rang(self):
        nombre_candidats = self.total_places / self.taux_acceptation
        rang_moyen = RANG_CLASSE / TAILLE_CLASSE * nombre_candidats
        tirage = random.gauss(rang_moyen, 10)
        rang = int(min(nombre_candidats, max(tirage, 0)))
        return rang

Cette méthode est appelée par le constructeur lors de l'initialisation de la formation.

À chaque fois que le candidat reçoit une offre de formation, elle est accompagnée d'une date limite de réponse :

    def update_date_limite(self, jour):
        if jour < 5:
            self.date_limite = 5
        else:
            self.date_limite = jour + 1

Pour simuler l'évolution de la liste d'attente chaque jour, on calcule simplement le rang du dernier accepté dans la formation. Cela nous évite de devoir simuler les refus de candidats (c'est des adolescents, ils sont imprévisibles).

La position du dernier admis avance avec selon une densité de probabilité exponentielle (il est plus probable que la position du dernier avance de peu de places que de beaucoup) :

\[p(x) = \lambda e^{-\lambda x}\]

La moyenne de cette loi (λ), décroît avec les jours qui passent (davantage de candidats se désistent les premiers jours que par la suite).

Pour fixer λ, on part du 99è quantile (la valeur de la variable pour laquelle on a 99% de chances d'être en dessous). Pour la distribution exponentielle, la fonction quantile est : \[q = -\ln(1-p)/\lambda\]

De façon arbitraire, on prend q égal à un dixième de la longueur de la liste d'attente.

    def update_rang_dernier(self, jour):
        longueur_attente = max(
            self.rang_dernier_2021 - self.rang_dernier + 1, 1
        )
        jours_restants = DUREE_PS - jour + 1
        q = longueur_attente / 10
        p = min(
            0.999, float(jours_restants / DUREE_PS) * 0.99
        )  # on fixe le max à 0.999 pour éviter des exceptions dans le log
        lam = max(-(math.log(1 - p) / q), 1e-15)
        tirage = random.expovariate(lam)
        self.rang_dernier += int(tirage)

Le statut du candidat dans la formation est actualisé chaque jour. On utilise la méthode suivante dans 2 cas :

  1. la mise à jour automatique du système chaque nuit,
  2. la mise à jour après choix du candidat.

La mise à jour du lotto Parcoursup est faite de la façon suivante. Au départ, un candidat est accepté par une formation si son rang est inférieur ou égal au nombre de places de la formation. Les jours suivants, il est accepté si son rang est inférieur au dernier admis cette année. Un candidat est refusé par une formation si son rang es de 20% supérieur à celui du dernier admis l'année dernière (je ne pense pas que ce soit la règle utilisée par les formations, mais j'aime bien être sévère avec ces jeunes …). On gère aussi l'expiration des délais d'attente de réponse. Si le délai est dépassé, l'offre expire.

La gestion des choix du candidat consiste à mettre à jour le statut de la formation en fonction de sa réponse.

    def update_status(self, jour, choix: Choix = None):
        if choix is None:
            self.update_rang_dernier(jour)
            if self.votre_rang <= self.rang_dernier and (
                self.status == Status.WAIT or self.status == Status.ACCEPT
            ):
                if self.status != Status.ACCEPT:
                    self.update_date_limite(jour)
                    self.status = Status.ACCEPT
            elif self.votre_rang >= self.rang_dernier_2021 * 1.2:
                self.status = Status.REJECT
            else:
                self.status = Status.WAIT
            if self.status == Status.ACCEPT and jour > self.date_limite:
                self.status = Status.EXPIRED
        elif choix == Choix.CHECK:
            self.status = Status.CHECK
        elif choix == Choix.DROP:
            self.status = Status.DROP
        elif choix == Choix.WAIT:
            self.status = Status.WAIT

Et c'est tout pour les formations.

On passe ensuite à la simulation des actualisation journalières du système. On crée aussi une classe pour cela.

class Parcoursup:
    def __init__(self, voeux):
        self.voeux = voeux
        self.jour = 0
        for v in self.voeux:
            v.update_status(self.jour)

La classe est construite avec les vœux du candidat le jour 0. Pour chaque vœux, on fait une mise à jour définies par les formations.

Ensuite, on a une méthode pour l'itération journalière du système. C'est simple :

  • on commence par mettre à jour en chaque formation pour le jour courant,
  • on affiche les résultats de l'algo PS®,
  • on demande au candidat de faire ses choix et
  • on élimine les formations refusées par le candidat.
    def iteration(self):
        """Itération 
        """

        self.jour += 1
        for v in self.voeux:
            v.update_status(self.jour)
        self.print()
        self.choice()
        self.clean()

Pour faire tout ça, on aura besoin de quelques petites méthodes. D'abord, il nous faut pouvoir récupérer un voeu à partir de son identifiant unique :

    def get_voeu(self, idx):
        for v in self.voeux:
            if v.idx == idx:
                return v

Si le candidat accepte temporairement une formation, il refuse automatiquement toutes les autres où il a été accepté. That's life. Bienvenue au monde des adultes …

    def drop_all_accept_except(self, accept_tmp):
        for v in self.voeux:
            if v.idx != accept_tmp and v.status == Status.ACCEPT:
                v.update_status(self.jour, Choix.DROP)

Une petite fonction pour poser une question à l'utilisateur et récupérer sa réponse :

    def get_input(self, message, single_value=False):
        print(message, end=" ")
        resp = input()
        if single_value:
            try:
                val = int(resp)
                return val
            except ValueError:
                self.get_input(message, True)
        else:
            return resp.split()

Ici, on fait l'interaction avec l'utilisateur pour gérer les choix. On commence par lui demander s'il veut accepter définitivement une formation, on passe ensuite à l'acceptation temporaire et on finit par récupérer les formations refusées. En cas d'acceptation (définitive ou temporaire) on vérifie qu'il choisit des formations pour lesquelles il a été accepté! Si vous avez des ados à la maison, vous comprendrez que c'est une bonne précaution à prendre …

    def choice(self):
        accept_def = self.get_input(
            "Acceptation définitive [idx ou 0] :", True
        )
        while accept_def != 0:
            v_accept = self.get_voeu(accept_def)
            if v_accept.status == Status.ACCEPT:
                v_accept.update_status(self.jour, Choix.CHECK)
                print(
                    "Félicitations, vous avez accepté définitivement"
                    " la formation\n"
                )
                print(v_accept.nom)
                sys.exit(0)
            else:
                print(
                    "Vous n'avez pas été accepté dans la formation\n"
                    f"{v_accept.nom}\n"
                )
                accept_def = self.get_input(
                    "Acceptation définitive [idx ou 0] :", True
                )

        accept_tmp = self.get_input(
            "Acceptation temporaire [idx ou 0] :", True
        )
        while accept_tmp != 0:
            v_accept = self.get_voeu(accept_tmp)
            if v_accept.status == Status.ACCEPT:
                self.drop_all_accept_except(accept_tmp)
                v_accept.date_limite = DUREE_PS
                break
            else:
                print(
                    "Vous n'avez pas été accepté dans la formation\n"
                    f"{v_accept.nom}\n"
                )
                accept_tmp = self.get_input(
                    "Acceptation temporaire [idx ou 0] :", True
                )
        rejets = self.get_input("Rejets [id1 id2 ... ou 0] :", False)
        if rejets[0] == "0":
            return None
        for rejet in rejets:
            v_rejet = self.get_voeu(int(rejet))
            if v_rejet is not None:
                v_rejet.update_status(self.jour, Choix.DROP)

Il y a quelques doublons dans le code qui auraient pu être factorisés dans une autre méthode, mais ça fait l'affaire.

Voici la méthode pour éliminer les formations qui ne sont ni acceptées ni en liste d'attente :

    def clean(self):
        self.voeux = {
            v
            for v in self.voeux
            if (v.status == Status.ACCEPT or v.status == Status.WAIT)
        }

Et finalement, une fonction pour afficher les résultats du lotto journalier. Seulement les formations où le candidat est accepté ou en liste d'attente sont affichées. Il ne faut pas remuer le couteau dans la plaie!

    def print(self):
        print(f"################# Jour {self.jour} #####################\n")
        for s in [Status.ACCEPT, Status.WAIT]:
            print(f"\t======== {s} ========")
            for v in self.voeux:
                if v.status == s:
                    print(v)

Nous avons terminé avec la classe Parcoursup.

La fonction principale pour faire tourner la simulation. On lit les veux du candidat et on initialise la simulation. On simule (DUREE_PS = 45 par défaut) jours d'agonie et de stress.

def main():
    voeux = {
        Formation(idx, n, p, r, tr)
        for idx, (n, p, r, tr) in enumerate(VOEUX, start=1)
    }
    ps = Parcoursup(voeux)
    print("Bienvenue dans LottoSup™.\n" "Appuyez sur une touche pour jouer!\n")
    input()
    for it in range(DUREE_PS):
        ps.iteration()

Le code est relativement simple et court, ce qui permet d'en changer le comportement relativement facilement.

Tags: fr programming python education politics
30 Jan 2022

SFR & Moi, et mon transit

tl;dr1 : Soudainement, il y a quelques semaines, ma connexion internet par câble coaxial a commencé à souffrir de constipation intermittente. La solution de mon opérateur : manger de la fibre pour améliorer le transit moyennant une augmentation de 25% du prix de l'abonnement.

SFR & moi, une longue histoire

Je suis client de SFR pour l'accès à internet depuis plus de 10 ans, ce qui pour ce genre de service est une éternité. Je suis donc très fidèle. C'est sans doute pour cela que SFR prend autant soin de moi. Depuis 2016, j'ai une connexion haut débit par câble coaxial qui vient d'un nœud optique (la vraie fibre, à ne pas confondre avec la fibre2) sur un poteau en face de chez moi. En général, la connexion a été toujours fiable, sauf un incident il y a environ 2 ans suite au branchement d'un voisin.

Malheureusement, depuis quelques mois, il y a des pertes de connexion intermittentes : pendant quelques minutes, plus de connexion à internet, mais une ré-initialisation de la box semblait résoudre le problème. Cela arrivait une fois par jour au maximum. La situation s'est dégradée depuis quelques semaines. Les pertes de connexion ont lieu presque toutes les heures et réinitialiser la box n'a pas d'effet sur le problème.

Un service technique à votre écoute

Début janvier, j'ai donc appelé le service technique pour leur faire part de mon problème. La première proposition qu'on m'a faite, avant toute autre chose, a été de «passer sur la vraie fibre, car la connexion est plus stable». Je leur ai expliqué que ma connexion a été très stable pendant des années et qu'il devait y avoir un autre problème. Ils ont été suffisamment gentils pour me proposer le vaudou habituel : réinitialiser la box, débrancher le câble, souffler dedans, rebrancher et ajouter une patte de poulet. Après cela, la connexion marchait! J'ai essayé d'expliquer que, comme les coupures sont intermittentes, on n'était pas vraiment surs que le problème soit résolu. Mon interlocuteur m'a fait comprendre qu'il ne pouvait rien d'autre pour moi. Fin du premier acte.

Deux jours plus tard, je me suis permis de rappeler le service technique, car la situation était la même qu'avant mon premier appel. J'ai passé l'étape habituelle de l'identification (numéro de téléphone fixe, nom et prénom, numéro de portable), ce qui est cocasse, car en appelant avec mon portable, on me demande d'appuyer sur 1 si ma demande concerne ma ligne 05.67.XX.XX.XX. Ils savent bien que je suis, quel est mon numéro de portable et de fixe. Mais bon, je suppose que ça leur donne le temps d'ouvrir mon dossier. J'explique à nouveau mon problème (même si mon interlocuteur a mon dossier devant les yeux) et on me propose de … «passer sur la vraie fibre, car la connexion est plus stable». Je leur explique à nouveau que le problème n'est pas là (ça marchait correctement avant) et que je n'ai pas envie d'augmenter ma facture de 25%. Réponse : on peut me faire une réduction de 25% la première année. J'insiste pour une solution technique et non pas commerciale et on accède finalement à m'envoyer un technicien dans quelques jours.

Le jour J, le technicien arrive chez moi, je lui explique le problème et il regarde la qualité du signal qui arrive dans mon salon, juste avant la box. Tout est OK. Son verdict : il y a un problème réseau, soit sur le branchement sur le poteau dans la rue (là où la fibre dérive vers le coaxial), soit plus loin. Évidemment, il n'a pas le droit de sortir son échelle et regarder le poteau, parce qu'il ne fait pas partie de l'équipe réseau, même s'il saurait faire le boulot. Mais, pas de panique, une personne habilité interviendra dans les 48h.

Le lendemain, ou le surlendemain (désolé, je commence à fatiguer), je reçois un SMS de SFR en me disant que le compte-rendu d'intervention est disponible sur mon espace client. Chouette! Le technicien réseau est passé et a réparé la panne. Je regarde mon espace client et je vois ceci :

doc-sfr.png

Passée la déception de constater qu'il s'agissait de l'intervention du monsieur qui est venu chez moi et non pas de McGyver 🛠 habilité à intervenir sur le poteau, il y a eu une surprise. Je n'ai rien signé lors de la visite du technicien. Même pas un gribouillis avec le doigt sur une tablette. C'est sans doute à cause des gestes barrière pour me protéger, mais ça fait bizarre de n'avoir même pas été interrogé sur le fait que j'étais d'accord sur ce compte rendu. Je ne vais pas appeler la répression des fraudes pour un simple malentendu!

Un service technique très cohérent

Pour lever l'ambiguïté sur ce compte rendu et savoir si Monsieur Réseau allait passer, j'ai encore appelé le service technique. Je suis toujours aussi bien reçu : déclaration de mon identité avec toutes les coordonnées, au cas où ça aurait changé depuis 2 jours, explication du problème, car à chaque fois c'est un interlocuteur différent qui doit m'occuper le temps d'ouvrir le dossier, et puis la proposition de «passer sur la vraie fibre, car la connexion est plus stable». J'essaie d'expliquer à nouveau que leur forfait 25% plus cher ne m'intéresse toujours pas et que je n'ai pas besoin de doubler mon débit (de toute façon, le double de 0 n'est pas énorme non plus). Je veux juste avoir le service qui correspond à mon abonnement (qui d'ailleurs fait toujours partie des offres en cours) et qui marchait très bien jusqu'à il y a quelques mois.

Je ne regarde pas les chaînes d'info en continu, mais si les lois de la physique avaient changé depuis peu, je pense que je l'aurais appris. La technologie par câble coaxial, doit être toujours utilisable!3

J'insiste donc pour qu'une solution au problème technique soit apportée. On me propose le passage d'un technicien chez moi. Je leur rappelle que ça c'est fait et qu'on attend l'équipe réseau. La dame perd patience et devient désagréable et me dit que si j'ai la solution, je n'ai qu'à résoudre le problème moi-même.

Je la remercie pour sa suggestion. Je raccroche et je me connecte sur l'interface d'administration de la box pour regarder les journaux (les logs). C'est très facile, il suffit d'utiliser un navigateur et aller sur http://192.168.0.1/reseau-pa4-logs.html et on peut voir ça, par exemple :

 1/23/2022, 11:37:28 AM 	 Dynamic Range Window violation 
 1/23/2022, 11:37:28 AM 	 Unicast Ranging Received Abort Response - Re-initializing MAC;... 
 1/23/2022, 12:57:00 PM 	 Dynamic Range Window violation 
 1/23/2022, 12:57:00 PM 	 Unicast Ranging Received Abort Response - Re-initializing MAC;...

Génial. Ça colle avec les dernières coupures. Et une recherche sur internet confirme que cela peut venir du splitter du poteau d'en face. Mais ça, le service technique le sait déjà, parce qu'ils ont accès aux journaux de ma box et à plein d'autres informations. Si personne d'autre dans mon secteur a le problème, c'est bien de la dernière dérivation que cela doit venir (sous hypothèse que le technicien qui est venu chez moi ait fait correctement son travail).

J'attends 2 jours de plus (je suis vachement patient) et je rappelle le service technique pour voir s'ils savent quand est-ce que Monsieur Réseau va passer. Je suis hyper-rodé : numéro de ligne fixe, nom et prénom, numéro de portable, passe vaccinal, je leur donne tout. J'explique mon problème, ils consultent mon dossier et me confirment qu'ils ont demandé le passage d'un technicien réseau, mais ils sont incapables de me donner une date. Mais vraiment, je devrais «passer sur la vraie fibre, car la connexion est plus stable» … Je sens que ma tête tourne … J'essaie de leur montrer la cohérence de ma demande : ça marchait, ça ne marche plus, il n'est pas nécessaire de changer la box, de faire une tranchée qui traverse la rue et augmenter le prix de mon abonnement. Il suffit de réparer la panne!

On ne parle pas la même langue. C'est peut-être mon accent?

Community Managers empathiques et utiles

Puisque je ne suis pas bon à l'oral, je me dis que «La communauté SFR», le forum en ligne des utilisateurs modernes reste ma dernière chance. De plus, j'y vois pas mal de messages de vaches à lait clients qui ont des problèmes très similaires au mien.

Je suis au bon endroit. Il y a même des SFR Community Managers qui donnent des réponses certifiées par SFR! Je suis sûr qu'il s'agit de jeunes de la génération Z empathiques, qui ne parleront pas de technicien mais de technicien.ne et qui me donneront la solution (certifiée par SFR).

Avant de poser la question, je lis quelques échanges, histoire de m'imprégner de la nétiquette du lieu. Je repère quelques débuts de réponse (certifiée par SFR, car ce sont des Community Managers) qui me font sentir bien : «Je comprends votre ressenti devant cette situation qui dure». Ah, j'ai envie de m'asseoir en tailleur et boire du thé. ☮

Par contre, je suis un peu déçu par «Il faudrait en effet qu'un technicien se déplace pour pouvoir investiguer», car technicien au masculin ne fait pas trop Community Manager inclusif, végan et vélotaffeur.

Je continue à lire et je trouve ceci : «Pour rappel, nous ne pouvons pas agir sur ce genre de problématique sur la Communauté SFR, sans lien avec les services client et technique.»

Ah bon? Pas de lien avec les services client et technique? J'ai compris! La Communauté SFR sert à ce que les clients trouvent des solutions entre eux, et les Community Managers sont là pour … euh … en fait, je ne comprends pas.

Je vois que SFR a aussi une présence sur les réseaux dits sociaux, mais toutes leurs réponses ressemblent à ça :

Je vous présente toutes mes excuses pour cette mésaventure. Pouvez-vous passer en message privé juste ici svp? 👉 https://bit.ly/3oLcxGW Notre conseiller va vous venir en aide sans plus tarder.

Faut-il râler sur Twitter pour être finalement entendu?

Une relation humaine et respectueuse du client

Si on résume, on a :

  1. un service technique qui propose un changement d'abonnement (plus cher) à chaque appel au lieu de résoudre le problème technique;
  2. un technicien qui diagnostique un problème, mais qui n'a pas le droit d'intervenir;
  3. une équipe réseau qui n'intervient pas et qui ne peut pas être contactée par le service technique;
  4. un forum d'aide avec des Community Managers de SFR qui font des réponses (certifiées par SFR) dont l'utilité est douteuse.

Je ne sais pas juger s'il s'agit de mauvaise foi ou de simple incompétence. C'est peut-être une combinaison des deux, ou encore autre chose.

Je comprends bien que les personnes auxquelles j'ai eu à faire ne sont pas à la cause du problème, mais elles pourraient être à la source d'une solution. Il ne doit pas être agréable de se prendre en pleine figure la frustration des clients, dont certains sont sans doute méprisants (j'avoue avoir perdu patience au moins une fois).

Mais les travailleurs qui acceptent de se cantonner à répéter un script imposé ou un logigramme de questions-réponses risquent de se faire remplacer par des machines très rapidement.

C'est peut-être naïf de ma part, mais je pense qu'il serait sans doute plus utile pour les clients, mais aussi pour le bien-être au travail des employés en première ligne, de sortir des procédures inefficaces, prendre un peu d'initiative et trouver de vraies solutions.

En tout cas, le régime alimentaire que SFR veut m'imposer ne me convient pas. Et il est bien connu que l'excès de fibres produit des flatulences.

sms-sfr.png

Notes de bas de page:

1

Résumé pour ceux souffrant d'un déficit d'attention dû à la consommation de contenu sur Twitter, Instagram et autres réseaux dits sociaux.

2

SFR a été condamné à 2 reprises pour vendre de la fausse fibre optique.

3

Je ne leur ai pas dit qu'à une époque, je connaissais la formule pour calculer la fréquence de coupure en fonction du coefficient de réfraction de la fibre.

Tags: fr internet sfr rant
07 May 2021

Comment mon banquier veut m'obliger à me faire surveiller par les GAFAM et tuer des ours polaires

tl;dr1 : Le nouvel mécanisme d'authentification des paiements en ligne risque de déclencher des achats massifs de smart-phones dotés des dernières versions d'Android et iOS, et ceci, parce que les banques le veulent bien.

Quand on fait des achats en ligne et qu'on paye par carte bancaire, la sécurité de la transaction est primordiale. Actuellement, après avoir rentré les informations de la carte bancaire sur le site marchand, on reçoit un SMS avec un code que l'on doit ensuite rentrer sur le site de la banque pour finaliser la transaction. Ce système nous protège en cas de vol de la carte, car le malfrat devrait aussi être en possession de notre téléphone portable pour réaliser le paiement. Cependant, ce système n'est pas infaillible, car on peut se faire voler le téléphone et la carte. Il suffit que le téléphone n'ait pas de système de verrouillage fiable pour que le voleur puisse consulter le SMS avec le code nécessaire pour la transaction. Il est aussi possible d'intercepter des SMS si on s'y connaît un peu.

Afin de rendre la procédure plus robuste, à partir du 15 mai, le code reçu par SMS ne suffira plus et il faudra utiliser un mode d'authentification forte. Cela veut dire qu'il faudra une étape supplémentaire dépendant de quelque chose plus difficile à voler.

La plupart des banques vont privilégier l'utilisation de l'application mobile sur smart-phone. Lors de l'installation de l'application, l'utilisateur rentrera un code fourni par la banque qui active le service de paiements. Ensuite, lors d'un achat, il recevra une notification sur l'application qui lui demandera un mot de passe (que seul l'utilisateur connaît et qui est permanent). Puis l'application enverra la validation à la banque pour confirmer la transaction. De cette façon, si la carte et le téléphone sont volés, la transaction ne peut pas être validée sans connaissance du mot de passe. Certaines versions des applications mobiles pourront permettre l'utilisation de biométrie (empreinte digitale, par exemple) à la place du mot de passe.

Cette solution semble très appropriée, mais elle suppose que les utilisateurs disposent d'un smart-phone adapté. On peut se dire que la plupart de clients de services bancaires qui font des achats en ligne sont équipés du téléphone approprié. Cependant, il s'agit d'une hypothèse grossière, car un smart-phone adapté est un dispositif équipé de la bonne version d'Android ou de iOS (les systèmes d'exploitation – OS – de Google et d'Apple respectivement). Que se passe-t'il si vous avez choisi d'être sobre numériquement et que votre appareil a une version un peu trop ancienne le l'OS? Que se passe-t'il si vous avez choisi de ne pas vous soumettre à la surveillance numérique des GAFAM et que vous avez un appareil équipé d'un OS alternatif (et libre, de préférence)?

Je suis dans un de ces cas. Comme tout un chacun, j'ai cherché conseil sur internet et j'ai trouvé ça :

«Que faire si vous ne souhaitez pas télécharger l’application mobile de votre banque ?

Il conviendra de contacter votre conseiller bancaire qui pourra vous renseigner sur les solutions alternatives mises en place par votre banque : achat d’un appareil pour lire un QR Code ou envoi d’un code par SMS doublé d’un code permanent comme celui pour accéder à son compte en ligne par exemple.»

Je me suis donc retourné (virtuellement, évidemment, gestes barrière obligent) vers mon conseiller bancaire (il n'a pas encore été remplacé par un chat-bot) et lui ai posé la question. Il m'a très gentiment répondu que ma banque allait proposer une alternative pour les clients ne disposant pas de smart-phone adapté. Après plusieurs relances de ma part, il est revenu vers moi avec une solution : ma banque me propose d'acheter (à ma charge!) un boîtier dans lequel on insère la carte bancaire et qui génère un code à rentrer sur le site de la banque lors de chaque paiement.

Au premier abord, j'étais plutôt satisfait. Le boîtier ressemble à une GameBoy et ce côté mi-hipster mi-cyberpunk m'a plu. Le coût modique (à ma charge!!) serait acceptable. Mais plus tard, je me suis dit que ça n'allait pas : je garde le même smart-phone depuis des années pour réduire ma pollution numérique, je me rends ridicule en roulant à vélo non électrique pour protéger la biodiversité, j'utilise du shampooing solide pour être économe en emballages plastiques (et je suis chauve!!!). Je ne vais donc pas être complice de la fabrication d'encore un machin électronique qui n'est pas vraiment nécessaire.

Parce que, en fait, il y a d'autres solutions que ce boîtier ou que l'achat d'un nouveau téléphone qui aurait la bonne version de l'OS espion de Google ou d'Apple.

Une première solution est de coupler le code reçu par SMS à un mot de passe seulement connu de l'utilisateur et que l'on rentre sur le site de la banque lors de l'achat2. Mais on pourrait aussi imaginer que la banque fournisse une application installable sur n'importe quel ordiphone. Ça peut sembler fou, mais, si, c'est possible de faire des applications que marchent sur tous les systèmes d'exploitation, sur ordinateur, sur tablette.

Je suis donc revenu vers mon conseiller de la banque pour lui demander confirmation du fait que seulement l'application sur smart-phone et le lecteur GameBoy étaient proposés par son entité.

«Je suis surpris que la seule solution proposée par [le nom de ma banque] soit l'achat d'un dispositif électronique supplémentaire et à la charge du client.

De nombreuses banques proposent aussi l'authentification par mot de passe couplée au code reçu par SMS.

Pouvez-vous me confirmer que [le nom de ma banque] ne propose pas cette solution? Ce serait vraiment dommage, car elle est plus écologique (pas de dispositif électronique supplémentaire) et plus économique.»

C'est là où je me suis dit que j'avais à faire à un chat-bot, parce que sa réponse a été complètement à côté de la plaque :

«Justement, les banques sont dans l'obligation de renforcer la sécurité sur les opérations sensibles, l'envoi de SMS ne suffira plus à partir de fin juin.

D’où la nécessité d'avoir un smartphone ou d'un lecteur»

Il n'a donc pas répondu à la question et m'a donné une argumentation fallacieuse : nécessité de smart-phone ou lecteur de cartes. S'il y a une 3ème option, par définition, les 2 autres ne sont pas nécessaires.

Comme j'avais à faire à un chat-bot, je me suis dit que je pouvais insister sans qu'il se sente harcelé (banker lifes matter, tout de même) :

«Bonjour,

Apparemment, ma question n'était pas claire.

Il y a 3 options proposées par les banques :

  1. une application sur smart-phone qui demande un mot de passe permanent (qui ne change pas à chaque achat) et qui valide la transaction
  2. un lecteur pour la carte qui, après avoir rentré le code de la carte, génère un code à utilisation unique, l'utilisateur rentre ce code sur le site de paiement pour valider la transaction
  3. réception par SMS d'un code à utilisation unique + utilisation d'un mot de passe permanent (que l'utilisateur choisit sur son espace client sur internet, par exemple), les 2 informations sont à rentrer sur le site de paiement pour valider la transaction

J'ai bien compris que [le nom de ma banque] propose les options 1 et 2. Dans mon message précédent, je vous demandais de me confirmer que vous ne proposez pas l'option 3. Vous n'avez pas répondu à cette question.

J'espère que cette fois-ci ma question est claire et que vous pourrez la transmettre au service concerné. Je conçois parfaitement que le sujet de la sécurité informatique ne soit pas de votre ressort.

L'avantage de la 3è option est qu'elle ne nécessite pas de démarche particulière de la part des clients. Je suis persuadé que, à degré de sécurité égal, la satisfaction des clients est sans doute le souci principal de [le nom de ma banque].»

Le dernier paragraphe, était mon test de Turing, car j'avais toujours le doute concernant le chat-bot. La réponse a été claire, ce n'est pas un chat-bot, mais quelqu'un qui se soucie bien peu des clients et qui pourrait donc être facilement remplacé par une IA bon marché :

«Bonjour ,

comme dit précédemment, les deux solutions proposées sont :

Rien d'autre»

Donc, les «solutions» proposées par ma banque (bon, OK, c'est la Caisse d'Épargne) sont, soit l'achat forcé du lecteur GameBoy, soit l'installation d'une application qui demande un smart-phone très récent contrôlé par les GAFAM. Une alternative économe, écologique et non intrusive n'est pas à l'ordre du jour.

On pourrait se dire que le développement logiciel n'est pas le métier d'une banque et donc qu'il est normal qu'ils soient incompétents dans le domaine. Mais en fait, ce serait faux. Les banques ne font que du logiciel, ne vivent que grâce au logiciel. Le monde financier n'est que du logiciel. Et ceux qui développent du logiciel savent qu'il est plus simple de faire un logiciel qui tourne chez soi, dans une infrastructure maîtrisée, plutôt que de faire du logiciel qui tourne chez le client (le smart-phone ici). Donc la raison pour ne pas proposer d'alternative logicielle à l'appli ne peut être qu'un choix délibéré avec des objectifs précis.

Comme le signale 60 millions de consommateurs dans son article récent sur le sujet

«Beaucoup de banques ne communiquent pas sur cette option du code SMS couplé à un mot de passe, et semblent inciter par tous les moyens au téléchargement de leur appli.»

Quel est l'intérêt de nous forcer à utiliser l'application mobile? Nous surveiller? Remplacer complètement les agences? Faire que l'usager s'occupe personnellement de tout gérer au lieu d'embaucher des «conseillers»? Tiens, c'est cohérent avec le remplacement de mon cher conseiller par un chat-bot.

Ou s'agit-t'il simplement de proposer des solutions qui donnent une impression de sécurité (un smart-phone dernier cri, ou un bidule où on insère sa carte pour ceux atteints d'illectronisme) tout en sachant que la plupart d'usagers sont habitués à accepter des technologies qu'ils ne comprennent pas et sur lesquelles ils n'ont aucune prise?

En tout cas, la conséquence de tout ça est l'obsolescence programmée systémique. C'est la même logique qui fait que les anciennes versions de Windows et des OS d'Apple et de Google ne sont plus maintenues, et que les nouvelles versions ne tournent que sur des machines plus puissantes. Et nous en sommes tous complices parce que nous acceptons ça comme si c'était une fatalité.

Et le 16 mai, on changera de smart-phone, parce que grâce aux confinements répétés (et en prévision de ceux à venir), nous avons pris goût aux courses en ligne3 et les ours polaires, ça commence à bien faire.

Merci mon banquier.

Édition du [2021-05-16 Sun]

Quelqu'un d'averti en sécurité informatique m'a expliqué que la solution code SMS + mot de passe permanent est moins sécurisée que la solution basée sur l'application mobile, car le code SMS ne voyage pas par un canal chiffré. Ceci remet en question une des solutions que je demandais à mon banquier. Mais cela remet aussi en question la solution GameBoy, car les boîtiers actuels ne sont pas conformes non plus. En conséquence, la seule solution serait bien une application qui ne soit pas liée à une version particulière d'un OS.

Il est important de noter que les applications mobiles des banques n'ont pas forcément besoin d'accès au réseau mobile. Cette fois-ci, je ne me suis pas limité à lire sur le net et j'ai fait le test. J'ai emprunté un dispositif équipé d'Android 5.04, mais sans carte SIM. J'y ai installé l'application mobile de ma banque, je l'ai configurée pour accéder à mes comptes et ai activé l'option magique pour les paiements méga-sécurisés. Ça a marché. Si je comprends bien, l'application identifie la machine sur laquelle elle est installée et la banque n'acceptera que les validations des paiements issus de cette machine. La même fonctionnalité peut donc être fournie par une application installée sur l'ordinateur sur lequel l'utilisateur fait ses achats en ligne (là on peut supposer que quelqu'un qui fait des achats en ligne a un ordinateur).

Il y a donc bien une solution logicielle qui ne nécessite pas de mettre à la poubelle le matériel actuel. Il suffit un peu de bonne volonté des banques. On peut toujours rêver.

Footnotes:

1

Résumé pour ceux souffrant d'un déficit d'attention dû à la consommation de contenu sur Twitter, Instagram et autres réseaux dits sociaux.

2

Comme précisé dans l'édition du [2021-05-16 Sun] cette solution n'est pas compatible avec la nouvelle réglementation. La seule vraie solution est donc un outil multi-plate-forme (Android, iOS, Linux, Windows, MacOS) et qui ne soit pas lié à une version trop récente de ces OS.

4

Oui, je sais, c'est limite. Mais je me dévoue pour la science et je me suis désinfecté les mains avec du gel hydro-alcoolique à la fin de l'opération.

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21 Feb 2021

Altruisme efficace et milliardaires philanthropes

J'écoutais un épisode du podcast Making sense dans lequel Sam Harris avait un échange avec William MacAskill sur le sujet de l'altruisme efficace, quand j'ai été incommodé par cette idée : il serait une bonne chose que d'être un milliardaire philanthrope. Est-ce une détestation primaire des riches, ou bien quelque chose de plus complexe?

L'altruisme efficace

Commençons par poser le cadre de la discussion : l'altruisme efficace. Il s'agit d'une approche de la philanthropie visant à maximiser l'efficacité des dons :

Traditionnellement, les évaluations d'organisations caritatives se concentrent sur la minimisation des coûts administratifs en proportion du coût d'un programme. Les altruistes efficaces rejettent cette méthode de mesure, qu'ils considèrent simpliste et erronée. Les altruistes efficaces préfèrent mesurer les résultats obtenus par unité de ressource investie, quelle que soit la part de coûts administratifs.

Il s'agit d'une approche très pragmatique conséquentialiste qui essaye de s'affranchir de toute émotivité liée à la proximité sociale ou géographique des bénéficiaires des dons. Par exemple, il vaudrait mieux donner à des ONG qui s'occupent de lutter contre le paludisme en Afrique que de donner aux Restos du cœur.

L'altruisme devient donc une science et un business avec tout un ensemble d'entités (GiveWell, Future of Humanity Institute, Giving What We Can) qui s'occupent d'établir des listes et des classements des ONG les plus efficaces.

On peut aussi «donner sa carrière», ce qui permet de donner un peu de sens à certains bullshit jobs.

Ce qui pourrait être gênant dans l'altruisme efficace

D'après la présentation qui en est faite dans Wikipédia, «les altruistes efficaces tentent d'identifier l'importance de différentes causes, selon leur potentiel à atteindre des objectifs généraux tels que l'augmentation du bien-être des individus.»

Encore faut-il définir le bien-être des individus. Dans l'altruisme efficace, on parle souvent de sauver des vies, mais il n'est pas sûr que tout individu sauvé du paludisme ou de la malnutrition puisse jouir de bien-être. Si on pousse la logique utilitariste au bout, on pourrait imaginer que la somme totale de bien-être dans le monde augmente quand il n'y a pas d'individu qui souffre et donc, une façon d'éliminer la souffrance est d'éliminer les individus qui souffrent. Heureusement, ce raisonnement digne d'une intelligence artificielle dystopique est exclue par les altruistes efficaces (et de toute façon, la première loi de la robotique nous couvre sur ça aussi).

Mais sans tomber dans ce niveau de cynisme abjecte, on peut légitimement se poser la question de la hiérarchie du bien. Il y a des domaines où la «quantité de bien» est difficile à mesurer et cela n'est pas compatible avec les outils quantitatifs de l'AE :

Les essais contrôlés randomisés occupaient originellement une grande place dans l'évaluation des actions par les altruistes efficaces. Pascal-Emmanuel Gobry, membre du think tank conservateur Ethics and Public Policy Center, met en garde sur l'effet Réverbère : certains domaines, tels que la recherche médicale ou l'aide à la réforme de la gouvernance des pays en développement, ont un rapport coût-efficacité difficile à mesurer par des essais contrôlés. Ils risquent donc d'être sous-évalués par le mouvement de l'altruisme efficace faute de données, indépendamment de leur efficacité réelle. Jennifer Rubenstein, professeur spécialisée en théorie politique, émet elle aussi l'hypothèse d'un altruisme efficace pouvant être biaisé en défaveur des causes difficiles à mesurer. La mesurabilité du bonheur est aussi débattue.

Toujours est-il que les altruistes efficaces considèrent actuellement comme prioritaires l'extrême pauvreté, la souffrance des animaux dans les élevages industriels, et la prise en compte des risques existentiels.

Par contre, un des points appréciables (mais pas apprécié par tout le monde 1) est la non relativité morale : toute vie, qu'elle soit celle d'un proche ou celle d'un inconnu vivant à l'autre bout de la planète, a la même valeur. Le raisonnement va au delà de la dimension géographique et s'étend à la dimension temporelle : les générations futures auraient une valeur morale égale à celle des personnes vivantes dans le présent, ce qui demande de réduire les risques existentiels à l'humanité.

Là, on glisse sur des terrains un peu new age. Si on ne peut, en effet, justifier l'expoliation des ressources physiques et biologiques, on peut se dire que le simple fait de produire des générations futures est en soi un risque existentiel. Mais pas seulement. Cela constitue un acte égoïste qui va faire exister des personnes qui seront exposées à des souffrances. Les altruistes efficaces, s'ils étaient cohérents, devraient s'abstenir de procréer (et peut-être que le reste de l'humanité aussi, mais je m'égare).

La dernière dimension sur laquelle le non relativisme moral de l'AE s'applique est celle des espèces vivantes :

D'autres pensent que, indépendamment de l'espèce de chaque individu, des intérêts égaux devraient mener à une égale considération morale, et travaillent donc à prévenir les souffrances animales, telles que celles causées par l'élevage industriel.

Le dernier point qui fait débat, est celui de l'industrie créée autour de l'AE (voir ci-dessus). En effet, pour être vraiment efficace, l'altruiste moderne a besoin de savoir où placer son argent (et éventuellement son temps si on est jeune et fraîchement diplômé d'une école de commerce de bonne réputation). Une fois que l'impératif moral nous pousse à agir, y penser tout le temps est pénible et angoissant. On peut donc sous-traiter.

Le problème de la philanthropie

Revenons à la question de départ. L'altruisme pouvant être efficace, l'existence de riches philanthropes qui y adhèrent serait une bonne chose.

Qui est le philanthrope?

D'après le Littré, un philanthrope est

celui dont le coeur est porté à aimer les hommes, particulièrement celui qui s'occupe des moyens d'améliorer le sort de ses semblables.

Wikipédia nous dit que le mot philanthropie

[…] désigne une philosophie ou doctrine de vie d'inspiration humaniste émanant d'une catégorie sociale de personnes s'estimant matériellement nanties et mettant la cohésion de l'humanité au premier plan de leurs priorités. Née à la fin du siècle des Lumières, à une époque par conséquent marquée par la déchristianisation et la montée en puissance des États-nations, cette philosophie tient lieu de substitut à la charité chrétienne et préfigure en partie ce que seront plus tard les politiques publiques d'aide sociale, du moins dans des pays comme la France, marqués par la culture laïque (aide assurée directement par l'État ou par le biais de structures déclarées d'utilité publique). Aux États-Unis, nation où la religion chrétienne interfère en revanche toujours beaucoup avec la politique, les pratiques de philanthropie sont particulièrement vivaces.

On voit que cette entrée Wikipédia a besoin d'être actualisée en ce qui concerne la France, mais il est intéressant de voir les liens avec la charité chrétienne. On comprend aussi que n'est pas philanthrope qui veut : seulement les matériellement nantis peuvent l'être. Ils ont donc du mérite, car rien ne les oblige à partager leurs richesses. Si certains sont nantis par le droit divin (l'héritage de la fortune de leurs ancêtres) d'autres le sont devenus par leur travail. En fait, si on applique un peu de transitivité, même la richesse d'un héritier est le fruit du travail (de l'ancêtre) dont l'héritier n'est que l'administrateur. Donc, sans perte de généralité, on peut dire que la position de nanti a été gagnée par le mérite et le travail. En conséquence, le philanthrope a du mérite car c'est un self-made man, même quand il ajoute le prénom de son épouse au sien pour nommer sa fondation.

Le mythe du self-made man

Il y a tout de même un petit problème avec cette notion de self-made man : c'est un mythe. On sait, par exemple, que le lieu de naissance détermine en grande mesure le niveau de revenus. On peut voir ici une étude concernant la Grande Bretagne. Si les disparités entre Londres et Cardiff ne sont pas énormes, on peut imaginer qu'elles sont beaucoup plus importantes entre Seattle et Kampala, par exemple. Et si on y ajoute le capital social, le capital tout court obtenu par héritage, etc. on peut dire que le mérite des riches philanthropes est un peu moins important que ce que l'on a tendance à penser. Mais, quoi qu'il en soit, une fois devenus riches (par leurs mérites ou par leurs privilèges), on ne peut pas leur enlever le mérite de donner une partie de leurs richesses. Ou peut-on?

Nous mettrons de côté le cynisme de ceux qui doutent des motivations des philanthropes … mais en fait, non, car Wikipédia nous dit :

Selon les contextes, la philanthropie est portée par un idéal authentiquement altruiste ou au contraire par le souci de s'insérer dans la bien-pensance de la classe dirigeante, la bourgeoisie, et celui d'en retirer un bénéfice indirect, en termes de reconnaissance sociale. Le mécénat des entreprises est généralement désigné sous le terme de Responsabilité sociétale (ou sociale) et est en partie encadré par la norme ISO 26000.

Mais, essayons tout de même de faire abstraction des motivations (et encore plus des normes ISO) et mettons-nous à la place de ces personnes qui donnent une partie de leur fortune, qui est bien la leur. Elle leur appartient. Même si certains le contestent :

« Le néo-libéralisme a mis fin à l'idée que l'État pouvait être un recours de la société contre les effets désastreux du capitalisme […]. La propriété publique est alors apparue non pas comme une protection du commun, mais comme une forme «collective» de propriété privée réservée à la classe dominante, laquelle pouvait en disposer à sa guise et spolier la population selon ses désirs et ses intérêts. »

Sans vouloir pousser à la révolution (je tiens tout de même à mes petits privilèges de bourgeois), il est tout de même important de ne pas oublier que les capitalistes s'approprient les biens communs. Et donc, entre privilège de départ et usurpation par la suite, la propriété du philanthrope perd un peu de légitimité.

Mais, même si on notre raisonnement est le bon, il n'est pas performatif et le philanthrope est toujours propriétaire de sa fortune.

Mais pourquoi donnerait-il sa fortune aux autres?

Si on remonte suffisamment dans la chaîne de l'héritage (des individus ou des états2) on arrive toujours à un moment où quelqu'un est devenu riche en s'appropriant de façon arbitraire une ressource. Cela a pu être parce que cette ressource n'appartenait à personne, ou bien parce que la force a permis de trancher une dispute.

Pour une analyse sérieuse sur ce sujet, on pourra lire La Part commune - Critique de la propriété privée de Pierre Crétois dont les grandes lignes sont résumées dans cet entretien. On y découvre que la notion de propriété a quatre attributs supposés : son caractère naturel, qu'elle serait le fruit du travail, donc qu'elle sanctionnerait un mérite et l'impossibilité d'interférer dans cette propriété.

Voici la racine de la justification de l'appropriation des choses par le travail :

[…] Locke se demande comment faire pour transformer quelque chose qui a été originellement donné par Dieu à tous en un quelque chose qui est à moi. Le tout, sans solliciter l'avis des autres et de manière moralement irréprochable. Locke estime que puisque l'on est propriétaire de soi-même, il suffit que je mette dans cette chose mon travail, autrement dit quelque chose qui est naturellement à moi pour qu'elle m'appartienne en propre. Dès lors, nul ne peut vouloir se saisir de ce que j'ai travaillé sans se saisir de quelque chose qui est naturellement à moi. C'est le cœur de cette justification morale de l'appropriation privative par le travail.

Il faut donc avoir travaillé pour pouvoir revendiquer la propriété. Encore un argument qui délégitime la fortune de la plupart de nantis. Et nous avons déjà parlé des rentiers dans un autre article.

Mais le plus important, est de comprendre que la propriété n'est pas un droit fondamental, car

[…] un droit fondamental est censé se suffire à lui-même. Or, le droit de propriété a pour justification d'être un instrument au service d'autres droits : la subsistance, l'indépendance, la dignité. Pour cette raison, c'est un droit instrumental et donc secondaire.

Et donc, la fortune du self-made man (de premier ordre ou par transitivité), une fois amputée du pécule nécessaire à la subsistance, l'indépendance et la dignité, devient moins légitime.

Philanthropie et démocratie

Que l'on soit d'accord ou non sur le mérite du philanthrope à avoir amassé sa fortune et a être prêt à la redistribuer et sur la légitimité de toute l'opération, il reste encore un problème avec le modus operandi des philanthropes. Leur fortune leur permet de décider ce qui est bon pour l'humanité.

En effet, le philanthrope choisit où il met son argent. Dès lors, l'utilisation de ces ressources échappe à tout débat démocratique : les ressources sont allouées en fonction des préférences du philanthrope et éventuellement de ses conseillers. Étant donnés les rapports de force qui interviennent, on est plutôt face à un système monarchique et sa cour, et on peut imaginer le peu de poids que des conseillers éclairés peuvent avoir.

Si l'idée de remplacer les monarchies absolutistes pour instaurer des démocraties3 fait partie de la pensée mainstream aujourd'hui, on voit que l'on continue à accepter l'existence de personnes qui, pour le simple fait d'être riches, ont beaucoup plus de poids sur des décisions qui impactent des millions de personnes. C'est un échec qui a des conséquences importantes. Dans l'article Wikipédia sur l'altruisme efficace on peut lire :

L'économiste Daron Acemoglu y affirme que « quand des services importants que l'on attend d'un État sont pris en charge par d'autres entités, il peut devenir plus difficile de construire une relation de confiance entre les citoyens et l'État. »

Ce n'est pas un problème d'argent, c'est un problème politique

Un point qui n'est pas abordé habituellement dans les critiques de l'AE est celui de la faillite des systèmes politiques de gouvernement en place. En effet, si on a besoin de passer par des ONG (où le N veut dire non et le G signifie gouvernemental) est parce que les pouvoirs publics ne veulent-peuvent-savent résoudre les problèmes. On pourrait se dire que, en effet, les pays qui souffrent de paludisme ou de malnutrition ont des gouvernements impuissants (et on évitera de se poser la question du pourquoi de cette situation), mais que cela n'est pas le cas dans les pays dits développés. Mauvaise réponse et voici un contre-exemple4 : San Francisco, endroit placé dans un pays économiquement puissant, où la concentration de hauts et très hauts salaires est sans commune mesure, n'arrive pas à résoudre le problème des sans abri. On pourra rétorquer que les USA ne sont pas l'exemple de la répartition équitable des richesses, mais que dans notre bonne vieille Europe, et qui plus est, dans le pays des droits de l'homme5 et le la révolution6 cela n'arrive pas. En fait, si. Parce que l'argent magique n'existe que pour sauver les banques, les pétroliers et les avionneurs, en face d'un virus incontrôlable, on a demandé à des couturières de travailler gratuitement et les hôpitaux publics ont été obligés de faire la manche :

Des renforts sont nécessaires, dans l'immédiat pour le soutien aux équipes en première ligne et comme pour le lancement des projets de recherche mais aussi dans les semaines à venir, pour continuer à soutenir toutes les initiatives qui auront émergé et les besoins qui resteront non couverts.

Pour cela, nous avons besoin de votre soutien, exceptionnel et immédiat. […] Lancée en 2016, la Fondation de l'AP-HP pour la Recherche mobilise de nouvelles ressources en soutien aux projets menés par les équipes de l'AP-HP et leurs partenaires (Universités, INSERM, Institut Pasteur, etc.). En quatre ans, plus de 2000 donateurs lui ont fait confiance, mobilisant 18 millions € en soutien à plus de 200 équipes, dans tous les domaines (maladie d'Alzheimer, épilepsie, cancer, diabète, maladies rares, etc.).

Si la force de travail existe et l'argent aussi (puisqu'on est capable de faire des dons), on se demande quel est le rôle des pouvoirs politiques si ce n'est pas celui d'organiser la redistribution des ressources (temps et argent) de la façon la plus efficace.

Pour ceux qui croient au mythe de la nécessité des états, il n'y a qu'une façon d'assurer le contrôle démocratique : l'impôt. Malheureusement, les états-nation dont les gouvernements sont élus en simili-démocratie démissionnent et délèguent la gestion de la res publica au bon vouloir d'acteurs économiques sans légitimité démocratique.

Et, comble des démocraties modernes, non seulement on renonce à taxer plus fortement le capital, mais on fait des réductions d'impôts pour ceux qui font des dons, ce qui leur permet d'orienter les dons vers des opérations qui peuvent les enrichir7.

Conclusion

Si on reste à la surface du phénomène, l'altruisme efficace semble une très bonne façon d'utiliser son argent et son temps pour augmenter la quantité de bien-être dans le monde. Si on s'y penche un peu, on peut se poser des questions sur la façon de mesurer ce bien-être et aussi sur l'industrie créée autour de ce mouvement. Mais le point crucial est celui d'accepter que certains puissent décider quelles sont les causes à soutenir et la façon de le faire et ceci cautionné par des pouvoirs politiques qui démissionnaires.

Footnotes:

1

Nous avons évolué vers le besoin de protéger la tribu d'abord

2

Nous parlerons de colonialisme une prochaine fois.

3

même si certaines ont besoin de garder cette figure paternaliste par le biais d'un roi, même élu tous les 5 ou 7 ans

4

Petite précision pour ceux qui étaient confinés le jour du cours d'intro à l'histoire des révolutions scientifiques : un contre-exemple suffit à falsifier une théorie.

5

blanc, hétérosexuel et riche

6

bourgeoise

7

Par exemple, un éditeur de logiciels, peut faire des dons en nature à une ONG qui travaille dans l'éducation au numérique. Les bénéficiaires des actions de l'ONG seront formés aux outils du-dit éditeur de logiciel et seront donc clients potentiels.

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29 Dec 2020

Nous voulons tous être des rentiers

D'après le Littré, un rentier est un bourgeois qui vit de son revenu, sans négoce, ni industrie. Wikipédia, développe un peu plus et dans son entrée pour rente dit :

«Une rente est, pour un particulier, une somme fixée à l'avance reçue périodiquement (par exemple chaque mois ou chaque année), pour une durée fixée d'avance (rente certaine) ou, éventuellement, pour le reste de sa vie (rente viagère), provenant du patrimoine de ce particulier. Une rente est également définie de façon plus générale comme le revenu provenant d'un patrimoine.»

Malheureusement, dans l'entrée Wikipédia, il n'y a pas de mode d'emploi pour arriver à être un rentier, ce qui est un peu frustrant, il faut l'avouer. Il me semble que, en fonction des modèles auxquels on a été exposé en grandissant, chacun cherche à être rentier à sa façon : un poste de fonctionnaire (peu importe l'administration) si on n'est pas trop attiré par le bling-bling, banquier si on a des tendances sociopathes, politicien professionnel si on a du mal à maîtriser sa libido, ou célébrité dans les cas où le QI ne permet pas autre chose.

Une des recettes miracle qui apparaissent en cherchant un peu sur le web est celle de la communauté FIRE (pour Financial Independence Retire Early), dont l'objectif est

«d'économiser un montant à partir duquel les intérêts générés par les placements fournissent assez d'argent pour supporter les frais de la vie courante.»

La façon d'arriver à économiser suffisamment vite – et que les intérêts générés suffisent jusqu'à la fin de ses jours – est simple : adopter un mode de vie frugal et donc réduire les coûts courants à l'essentiel. À première vue, cela semble intéressant, d'autant plus que la frugalité devrait permettre de réduire son impact écologique. C'est donc du green win-win. On est par conséquent tenté de regarder un peu plus en détail et chercher le piège dans l'affaire.

S'il y a des critiques concernant la viabilité de l'approche (le risque des investissements, la façon de calculer le revenu à long terme, car on parle tout de même de gens qui veulent prendre la retraite à 35 ans), il y en a très peu sur la viabilité du concept à l'échelle d'une société. Si tout le monde adoptait le FIRE, il y aurait peu d'occasions d'investir dans des affaires capitalistes jouteuses. D'un autre côté, on pourrait imaginer que si tout le monde devenait frugal (c'est à dire, plus de banquier sociopathe ou de célébrité à lunettes de soleil à monture dorée), il suffirait que les jeunes travaillent. Ou bien que tout le monde travaille juste un peu.

Travailler juste un peu et avoir du temps pour les loisirs? Ça peut paraître carrément disruptif, mais d'après le livre de Jean-Paul Demoule Les dix millénaires oubliés qui ont fait l'Histoire, c'était un peu le cas déjà dans le paléolithique :

«[…] les chasseurs-cueilleurs qui ont pu être observés avant leur anéantissement ne consacraient en moyenne que trois heures par jour à l'acquisition de leur nourriture, soit vingt et une heures par semaine, le reste du temps étant voué aux loisirs.»

Et il ajoute, qu'en termes de richesse relative, nous ne sommes pas avantagés :

«Si l'on considère que nous travaillons toute la journée, essentiellement pour survivre, les loisirs n'occupant qu'une place restreinte et la fameuse semaine de 35 heures restant un acquis fragile et réservé à peu de pays, il est indéniable que l'abondance relative des chasseurs-cueilleurs était bien supérieure à la nôtre, nous qui vivons des produits de l'agriculture. C'est là plus qu'un aimable paradoxe.»

Dans un monde où le bang for the buck semble être le critère ultime pour juger de l'utilité de toute activité, on peut dire qu'on a besoin de réformes et de modernisation dans cette affaire.

Sur le même sujet, Yuval Noah Harari, dans Sapiens; une brève histoire de l'humanité, parle carrément d'escroquerie à propos de la révolution agricole, quand il explique que :

En synthèse, la révolution agricole bénéficia l'espèce, mais pas les individus : les champs de blé, permettent de nourrir plus de monde que les plantes sauvages, mais ces individus ont des conditions de vie moins bonnes. Cela marche à long terme, parce que c'est une réussite pour l'espèce (plus de copies d'ADN), même si les individus sont moins heureux.

Mais le modèle du chasseur-cueilleur rentier n'est plus applicable à notre époque, car nous sommes beaucoup trop nombreux. Il faut donc qu'au moins certains produisent. Demoule, parle même de capitalisme extractionniste qui a perduré jusqu'à nos jours : la pêche en mer et l'extraction de matières premières relèvent d'une logique de prédation identique à celle des chasseurs-cueilleurs du paléolithique. Ce point de vue est en phase avec celui de Harari, qui nous explique que :

«Homo sapiens provoqua l'extinction de près de la moitié des grands animaux de la planète, bien avant que l'homme n'invente la roue, l'écriture ou les outils de fer.»

La 2ème vague d'extinction eut lieu lors de la révolution agricole (la 1ère, lors de la révolution cognitive). La 3ème a lieu maintenant. Les 2 premières extinctions épargnèrent les animaux marins, ce qui ne sera pas le cas actuellement. Mais on s'égare.

Nos ancêtres n'avaient pas les outils de l'économie capitaliste et ne pouvaient donc pas faire fructifier le capital et en faire bénéficier même les sans dents.

Malheureusement, pour chaque théorie économique, il y a toujours des alternatives qui viennent la contredire. Par exemple, Martine Orange dans Médiapart, cite Michel Husson, qui explique que les rendements du capital ne peuvent être élevés que s'il y a peu de détenteurs :

« L'extension de leurs privilèges à d'autres couches sociales impliquerait leur «évaporation». » […] « La valorisation fictive d'actifs financiers, déconnectée de l'économie réelle, ne peut que s'effondrer. »

En fait, il semblerait que le régime actuel pourrait être appelé capitalisme de rente protégé :

«Tout en revendiquant la prise de risques, à des rendements du capital exorbitants et des rémunérations hors norme, le monde financier et les grands groupes ne cessent de réclamer des garanties, des protections, des sécurités. Ils ont installé un capitalisme de rente protégé, normé, contractualisé, qui leur permet de poursuivre les États, mais interdit l'inverse.»

Et donc, il y a bien des rentiers, mais ce sont toujours les mêmes. Et si, au lieu de protéger seulement ce petit groupe sélect nous nous protégions tous ensemble?

Les progrès de l'automatisation (mécanique ou cognitive) devrait permettre de ne pas travailler. Peut-être pas tout de suite, car comme l'explique David Graeber dans Bullshit Jobs, pour l'instant, une partie de l'automatisation du travail fait émerger pas mal d'aliénation dans le travail, où beaucoup de tâches cognitives sont remplacées par des tâches de mise en forme de données pour qu'elles puissent être consommées par les machines :

«Much of the bullshitization of real jobs, I would say, and much of the reason for the expansion of the bullshit sector more generally, is a direct result of the desire to quantify the unquantifiable. To put it bluntly, automation makes certain tasks more efficient, but at the same time, it makes other tasks less efficient. This is because it requires enormous amounts of human labor to render the processes, tasks, and outcomes that surround anything of caring value into a form that computers can even recognize.»

Mais les progrès dans les techniques d'analyse de données permettront de s'affranchir même de ces tâches. Et c'est à ce moment là, que toute activité productive pourra être réalisée par des machines et le travail salarié n'aura plus lieu d'être. Cela permettrait à chacun de décider comment il veut utiliser son temps, son énergie et ses compétences pour rendre service à la société.

Oui, moi aussi j'ai la larme à l'oeil, mais il faut éviter qu'elle nous trouble la vue et nous empêche de voir qu'il nous faudra des sous pour payer nourriture, vêtements et autres biens matériels. Il faut bien – enfin, certains insistent, en tout cas – qu'il y ait un système (les prix) qui limite les excès de consommation de ressources limitées.

Certains capitalistes ont compris la tendance et sont favorables à la mise en place d'un revenu de base :

«Le revenu de base, encore appelé revenu universel ou allocation universelle, est une somme d'argent versée par une communauté politique à tous ses membres, sur une base individuelle, sans conditions de ressources ni obligation ou absence de travail. L'âge est parfois un critère discriminatif. Ce mode de fonctionnement économique est appliqué dans quelques pays ou à titre expérimental dans certaines zones.»

Il ne faut pas le confondre avec un revenu minimum qui, lui, existe déjà en France, par exemple :

«Le revenu minimum s'appelle Revenu de solidarité active (RSA). Cette allocation a été mise en place le 1er juin 2009, au terme d'une expérimentation dans 34 départements. Cette prestation garantit à ses bénéficiaires, qu'ils soient ou non capables de travailler, un revenu minimum équivalent à de 33 % à 36 % du SMIC.»

À ne pas confondre non plus avec salaire minimum qui, lui, suppose une activité salariée:

«Le salaire minimum, ou salaire minimal, est la rémunération minimale qu'un employeur peut légalement accorder à un employé pour un travail.»

Tous ces dispositifs ont comme objectif d'aider à consommer et de perpétuer le status quo. Encore un autre, qui a une longue histoire, le capital universel, fait pour faire croire qu'on peut tous être des petits capitalistes :

«L'idée du capital universel, encore appelé, capital de départ pour les jeunes ou dotation en capital pour les jeunes, est historiquement celle d'un capital versé à un âge donné, à chacun des jeunes membres d'une communauté pour l'aider à se lancer dans la vie active (ou productive).

Au XXIe siècle, le capital de départ, encore appelé capital universel, capital de base ou capital pour tous, se définirait comme une somme d'argent attribuée par une entité politique à chacun de ses jeunes membres à un âge donné pour l'aider à démarrer dans la vie. C'est, dans une certaine mesure, la transposition à l'échelle de la société de la dot que, dans de nombreuses cultures, les jeunes époux reçoivent de leurs familles à l'occasion du mariage.»

Pour ceux qui seraient frustrés de ne voir que des idées de droite pour faire participer tout le monde à la machine capitaliste, il suffit de changer capital par salaire et le tour est joué. C'est la proposition de Bernard Friot appelée salaire à vie :

«Le "salaire à vie" constitue un mode d'organisation socio-économique principalement théorisé par Bernard Friot qui consiste, en se basant sur la socialisation de la richesse produite, à verser un salaire à vie à tous les citoyens. Ce salaire universel, dont le montant serait attaché à la qualification personnelle et non plus au poste de travail occupé, a été pensé pour reconnaître le statut politique de "producteur de valeur" à l'ensemble des membres d'une communauté. Il aurait pour conséquence mécanique l'abolition du marché du travail, et donc du chômage, en reconnaissant le travail effectué en dehors du cadre d'un emploi.»

Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas d'une nuance sémantique par rapport à l'idée de revenu de base. Dans celui-ci on garde le business as usual et on donne un pécule à tout le monde pour que même (surtout?) les pauvres avec un emploi précaire continuent à faire tourner la machine du profit capitaliste. Comme le rappellent Fabien Escalona et Romaric Godin, ce type de dispositif peut pousser au consumérisme et être une arme potentielle contre la protection sociale.

Une des critiques principales de ces dispositifs est la remise en cause de la «valeur travail» et son rôle fédérateur dans la société. Selon cette croyance, le travail permet d'organiser le vivre ensemble en assignant une place bien définie à chaque individu qui déterminera son statut et donc le niveau de reconnaissance reçue. Où comme le disait Buckminster Fuller, avoir un job nous donne le droit d'exister :

«We keep inventing jobs because of this false idea that everyone has to be employed at some sort of drudgery because, according to Malthusian Darwinian theory, he must justify his right to exist.»

Ceci ne suppose pas un problème dans un système capitaliste, car celui-ci ne se préoccupe pas de l'utilité de ce qui est produit, seule la possibilité d'en tirer un profit compte :

«Un bien très utile pourra ne pas être produit si l'on ne peut pas en tirer de profit (il suffit de penser aux médicaments qui manquent dans les pays pauvres). Inversement, la publicité et la société de consommation créent tout un tas de besoins et de marchandises d'aucune utilité si ce n'est celle de rémunérer du capital.»

L'utilité du travail ne serait donc pas une bonne motivation? Sa rétribution ne serait pas corrélée à l'utilité? Les profits n'iraient pas à ceux qui produisent, mais à ceux qui «profitent»? En fait, selon Graeber, les travailleurs deviennent de plus et plus productifs sans que les profits ne leur soient destinés. Ces profits servent plutôt à financer des postes inutiles qui seront mieux payés que les vrais travailleurs. Le tout soutenu par une idéologie du management :

«Managerialism has become the pretext for creating a new covert form of feudalism, where wealth and position are allocated not on economic but political grounds—or rather, where every day it's more difficult to tell the difference between what can be considered "economic" and what is "political."»

Essayons de prendre un peu de recul pour distinguer plusieurs notions : emploi salarié, activité productive, activité créatrice, etc. Demoule nous permet d'y voir plus clair :

«La philosophe Hannah Arendt a distingué le travail, imposé pour vivre, de l'œuvre, véritablement créatrice ; de même qu'elle a distingué le temps vide, où l'on ne fait rien d'autre que récupérer sa force de travail, du temps libre, que l'on peut consacrer à son épanouissement personnel. Comme on sait, le mot "travail" vient du latin tripalium, qui désignait un instrument de torture destiné aux esclaves. D'autres civilisations que la nôtre ont beaucoup moins magnifié le travail : pour le bouddhisme , c'est l'accomplissement de soi par la méditation et le détachement qui doit primer. L'écrivain révolutionnaire Paul Lafargue dénonça dans son livre "Le Droit à la paresse" (1880) ce qu'il considérait comme une "folie" : "L'amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture" - ce qui le fit d'ailleurs [être] regardé avec une certaine méfiance par le mouvement ouvrier de l'époque.»

Pour revenir aux temps actuels, les crises climatique et de la biodiversité devraient être suffisantes pour nous faire prendre conscience que le fait d'occuper les gens à des tâches productives – et donc polluantes et consommatrices de ressources – sans vraie utilité sociale n'est pas tenable. D'un autre côté, indépendamment de cela, la technologie nous permet d'automatiser la plupart des tâches qui nous occupent, et non pas seulement les tâches mécaniques, mais aussi le travail de journalistes, avocats, médecins, ingénieurs, etc. Et cette fois-ci, la destruction créatrice risque de ne pas avoir lieu. D'après certains, on serait face à un techno-féodalisme où la rente de l'intangible, la monopolisation intellectuelle, feraient que la position dominante de quelques acteurs du numérique ne peut pas être modifiée par la magie des marchés.

Il y a tout de même un peu d'espoir. Ces géants du numérique sont principalement financés par la publicité (80% pour G et 98% pour F). On commence à prendre conscience que cette publicité ne marche pas. Certains prédisent l'éclatement de cette bulle pour les prochaines années. La fiabilité de ces prédictions est bien entendu à prendre avec des pincettes, car elles (les prédictions, pas les pincettes) sont faites avec les mêmes outils qui ont servi à ne pas voir la plupart des crises économiques précédentes. D'un autre côté, ce n'est pas parce que l'on sait que quelque chose n'est pas rentable ou efficace qu'on arrête de l'utiliser (cf. la théorie des Bullshit jobs de Graeber).

Optimisme limité, donc, mais avec la conscience que les 2 options proposées, à savoir : 1) tous rentiers de l'économie numérique 2) tous techno-serfs du féodalisme numérique, découlent de la servitude volontaire.

Soyons donc résolus de ne plus servir.

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14 Nov 2020

La science, les médias et le virus

Mi octobre, l'émission La Méthode Scientifique sur France Culture était dédiée au traitement de la science dans les médias faisant ainsi écho à une tribune publiée dans Libération où des scientifiques appelaient leurs pairs à mettre de l'humilité dans le débat médiatique lié à la pandémie de SARS-CoV-2.

À la lecture de la tribune et suite à l'écoute de l'émission, on constate que les médias1 déterminent qui sont les experts sanitaires. Ils donnent le même poids à un commentateur professionnel («je ne suis pas médecin, mais …») qu'aux vrais experts et ne font pas la distinction entre un médecin clinicien, un épidémiologiste ou un virologue. Ceci n'est pas nouveau, évidemment, et c'est une pratique courante sur d'autres sujets sans base scientifique comme la finance, par exemple.

Comme le dit Étienne Klein, qui participait à l'émission, dans son tract Le goût du vrai:

[…] avoir un avis n'équivaut nullement à connaître la justesse ou la fausseté d'un énoncé scientifique. Les revues scientifiques ne sont certes pas parfaites – il leur arrive de publier des articles contenant des erreurs ou présentant des conclusions biaisées –, mais ni Twitter ni Facebook n'ont vocation à concurrencer Nature, encore moins à en tenir lieu, comme ils tendent parfois à le faire ces derniers temps.

Les scientifiques seraient tombés dans le piège du quart d'heure de célébrité. Ceci n'est pas étonnant vu qu'ils sont déjà des friands usagers des moyens de l'économie de l'attention pour optimiser les métriques utilisées pour les évaluations de carrière. Mais on peut aussi penser qu'il y a des raisons plus nobles à ce comportement, comme une vraie intention de se rendre utiles dans la crise, voire vouloir montrer que la science est utile et qu'elle doit être soutenue par les pouvoirs publics.

Ce n'est pas de l'élitisme que de dire que la plupart de citoyens (y compris ceux avec beaucoup de diplômes) ne savent pas comment fonctionne la science. Pour citer encore E. Klein :

Comme tout un chacun, les scientifiques peuvent se tromper, subir l'influence des idéologies ou des lobbys, parfois même tricher, de sorte que leurs déclarations quant à la vérité de tel ou tel résultat ne sauraient être prises pour argent comptant. Toujours est-il que, dans leur champ de compétences, ils en savent plutôt davantage que ceux qui en savent moins. Pardon pour le truisme.

Pour arriver à des éléments de réponse fiables, la science se base sur une méthode qui travaille souvent par réfutation d'hypothèses, et donc, par construction, la travail du scientifique est d'essayer de mettre en défaut le status quo. Le débat scientifique est donc nécessaire. C'est ce que Popper (et j'emprunte encore la référence à E. Klein) appelait « la coopération amicalement hostile des citoyens de la communauté du savoir ».

La mise au premier plan du débat scientifique serait utile si le public avait les outils et le temps de digérer toute l'information disponible. C'est donc aux médias (s'ils veulent aller au delà de la captation de l'audimat) de faire le travail d'explication. Au lieu de ça, certains font plutôt le contraire et brouillent le discours. Voici un exemple (encore tiré du livre de Klein) :

Le 5 avril dernier, alors qu'aucune étude thérapeutique n'avait encore eu le temps d'aboutir, Le Parisien publiait les résultats d'un sondage abracadabrantesque. À la question : « D'après vous, tel médicament est-il efficace contre le coronavirus ? », 59 % des personnes interrogées répondaient oui, 20 % non. Seuls 21 % des sondés déclaraient qu'ils ne savaient pas. L'immense majorité (80 %) affirmait donc savoir ce que personne ne savait encore…

Pourquoi en arriver là? Pourquoi ne pas traiter les sujets avec nuance, pédagogie et profondeur? Probablement parce que cela demande du temps et du travail et qu'il y a toujours le risque de perdre du temps de cerveau disponible. Il est beaucoup plus efficace de créer du faux débat avec une bonne dose de clash, céder à la tyrannie de l'urgence et créer du faux scoop, même si les spectateurs s'en moquent. Pousser donc les scientifiques à donner des réponses simples et courtes (entre 2 coupures publicité), comme s'ils répondaient au sondage cité ci-dessus, résulte en une absence de nuance et de raisonnement et font confondre l'avis du scientifique avec ses espoirs de citoyen.

Comme le disait Chomsky dans On archism, imposer la concision est une technique de propagande :

In fact, the structure of the news production system is, you can't produce evidence. There's even a name for it—I learned it from the producer of Nightline, Jeff Greenfield. It's called “concision.” He was asked in an interview somewhere why they didn't have me on Nightline. First of all, he says, “Well, he talks Turkish, and nobody understands it.” But the other answer was, “He lacks concision.” Which is correct, I agree with him. The kinds of things that I would say on Nightline, you can't say in one sentence because they depart from standard religion. If you want to repeat the religion, you can get away with it between two commercials. If you want to say something that questions the religion, you're expected to give evidence, and that you can't do between two commercials. So therefore you lack concision, so therefore you can't talk.

I think that's a terrific technique of propaganda. To impose concision is a way of virtually guaranteeing that the party line gets repeated over and over again, and that nothing else is heard.

Et comme le disait récemment Frédéric Lordon, les vrais intellectuels passent mal à la télé :

L'accès régulier aux grands médias est par soi un indicateur de la manière dont ceux qui en bénéficient vont y tenir la « fonction intellectuelle » : d'une manière factice qui contredit la fonction intellectuelle puisque la fonction intellectuelle est essentiellement fonction critique, et que l'accès régulier aux grands médias a pour condition implicite de n'y tenir qu'une fonction de ratification, ou bien de fausse critique. La ratification, ce sont tous les experts qui viennent dire sous des formes variées le bien-fondé général de l'ordre social comme il est, et la nécessité d'en opérer quelques réglages pour qu'il soit encore meilleur.

On pourrait se dire que dans le cas des questions scientifiques il n'y a pas de ligne du parti, mais quand on essaye de faire croire que les masques ne sont pas utiles, ou que l'on ne se contamine que dans la sphère privée, on peut se poser la question de pourquoi il n'est pas de l'intérêt de certains que ceux qui regardent comprennent. Même si la façon de masquer l'incompétence de ceux qui sont aux manettes, ainsi que leur niveau de cynisme, est variable en fonction des pays, il est intéressant d'écouter cet épisode du podcast «Making Sense» de Sam Harris pour avoir des éléments de réponse.

Au delà de toute tentative de manipulation de la vérité, il y a les biais cognitifs dont nous tous sommes victimes. Nous développons tous des stratagèmes pour ne pas croire ce que nous savons si ce savoir nous dérange.

La science est lente par nature, et malgré tout, on avance très vite dans la connaissance du virus. Le débat scientifique répond à de règles qui servent justement à éviter les biais cognitifs. Mais si les scientifiques eux-mêmes tombent dans le piège de la recherche de la reconnaissance immédiate et des effets de communication, comme c'est le cas des politiques et des journalistes, il risque d'y avoir deux effets très négatifs.

D'abord, les citoyens feront de moins en moins confiance à ces scientifiques qui semblent ne pas se mettre d'accord et changent d'avis en permanence. Et, deuxièmement, le bénéfice que la société pourrait tirer de leurs découvertes n'aura pas lieu parce que, à l'ère de la post-vérité chacun a tendance à faire son marché parmi les opinions disponibles, sans que cela ait besoin de passer le contrôle qualité de la réalité, ou comme le disait R. Feynman :

For a successful technology, reality must take precedence over public relations, for Nature cannot be fooled.

Richard P. Feynman

Footnotes:

1

terme utilisé pour dé-responsabiliser les individus journalistes

Tags: fr science medias
25 Oct 2020

Sérendipité, productivité et télétravail

La pandémie a permis (obligé?) l'expérimentation à grande échelle du télétravail. Beaucoup de gens faisaient déjà du télétravail avant, non pas seulement comme un substitut de ce qui était fait dans les locaux de leur entreprise, mais aussi comme un complément (ramener du travail à la maison, travail pendant les déplacements professionnels de courte ou de moyenne durée). Mais dès le début du confinement, il a fallu mettre en place des outils de «communication», non, plutôt de «collaboration» pour pallier le manque d'interaction quotidienne.

Le résultat a été un recours précipité et sans esprit critique à des services de messagerie instantanée et visio-conférence pour générer des interactions non indispensables pour le déroulement normal du travail.

Certains ont attribué cela à un manque de confiance de la part des managers qui ne seraient pas formés à gérer ce genre de situations.

D'autres, ont justifié le besoin de ces outils pour favoriser la sérendipité et le brassage d'idées, malgré le fait qu'il est démontré que les interruptions et les échanges permanents son négatifs pour la productivité. En effet, la plupart des gens vivent mal les interruptions, dont la plupart ont lieu quand on est physiquement au travail. En effet, ces interruptions ont l'inconvénient de ne pas pouvoir être mises en mode avion. D'ailleurs, il existe un sens de la culpabilité associé au fait de désactiver les notifications dans les outils de «collaboration».

À l'inverse, une bonne hygiène dans la gestion de ces outils résulte en une augmentation de l'efficacité par rapport au travail en présentiel (ou par rapport au télétravail qui essaie de simuler le présentiel).

En fait, cette sacro-sainte sérendipité a vraiment du mal à marcher aussi bien qu'on le voudrait et des efforts importants (avec les budgets associés) sont déployés par les entreprises pour concevoir des locaux lui permettant de s'exprimer. Oui, on en est là.

Si on peut comprendre que certains aient besoin d'interaction fréquente, il semble peu approprié de vouloir imposer ce mode de travail à tout le monde. Mais, malheureusement, on peut s'attendre à ce que des startupeurs se positionnent sur le créneau de la e-serendipity. Déjà, les CIO (les DSI du monde d'avant) se frottent les mains en voyant venir des augmentations de leurs budgets.

Ces effets de mode dans un workplace où les promotions et la reconnaissance passent de plus en plus par le présentéisme (contemplatif o stratégique) et la visibilité (physique ou numérique) contraste avec des analyses moins sexies. En effet, il semblerait que les rencontres fortuites ne mènent qu'à des vraies collaborations que par un travail approfondi. Ce travail conjoint approfondi nécessite la co-présence, mais organisée et en évitant la culture du ASAP, le FOMO et le changement continu de contexte.

En gros, il faudrait éviter le travail superficiel composé de réunions d'information descendante, les échanges sur la messagerie instantanée, les appels téléphoniques non programmés, etc. On pourrait aussi apprendre la collaboration asynchrone, ce qui permettrait de sortir de la tradition orale où la mémoire des équipes est perdue, mais aussi de respecter le rythme de chacun.

Vaste programme …

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03 Jun 2015

Le management dans le cambouis

Quelqu'un me faisait remarquer l'autre jour que les propos de Crawford sur les "métiers fantomatiques" étaient méprisants et que de la défense des métiers manuels il en fait une attaque contre les tâches de gestion ou de management.

Je n'ai pas ressenti cela en lisant le livre de Crawford et il s'agit peut-être tout simplement d'un manque de contexte dans mes 2 billets sur le sujet. Quand Crawford fait la critique du travail qui n'a pas de production tangible, il se base principalement sur son expérience de rédacteur de résumés d'articles scientifiques, tâche qu'il a vécu comme quelque chose qui n'avait aucun sens ni aucune vraie utilité. Il est donc très négatif sur ce type d'activité, mais j'ai compris sa critique comme une explication du non sens que l'individu peut vivre (il en est donc victime) et non comme un mépris de l'individu qui réalise la tâche.

Je ne pense pas que la critique de Crawford doive être interprétée comme une façon facile de taper sur les chefs qui profitent du travail de leurs subordonnés. En tout cas, ce serait vraiment naïf de penser que tous les postes dans les entreprises qui ne sont pas liés directement à la production sont "fantomatiques". Il y a souvent besoin de postes de management, non pas pour des questions d'autorité ou de prise de décision seulement, mais surtout pour que quelqu'un puisse avoir une vue d'ensemble d'activités qui impliquent beaucoup de contributions et parties différentes. Il est souvent crucial de détecter des possibilités de collaboration, détecter des doublons inutiles, etc. Ou pour utiliser la LQR, développer des synergies.

Ce n'est peut-être pas nécessaire dans un atelier de réparation de motos où travaillent 4 ou 5 personnes, mais pour concevoir une des motos qui y sont réparées, il faut bien quelques dizaines, voire quelques centaines de personnes, chacune spécialiste de technologies très différentes. Sans des individus qui sont capables de tisser des liens entre ces différentes activités, il est impossible d'arriver à des résultats efficacement.

Je pense que le livre de Crawford a 2 messages principaux :

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06 May 2015

Métiers fantomatiques et jugement infaillible de la réalité

J'ai l'impression que le livre de Crawford1 à propos duquel j'ai commencé à écrire ici, va me donner beaucoup de matière pour ce blog.

Dans son ouvrage, Crawford "plaide plaide pour un idéal qui s'enracine dans la nuit des temps mais ne trouve plus guère d'écho aujourd'hui : le savoir-faire manuel et le rapport qu'il crée avec le monde matériel et les objets de l'art." Il est conscient que son point de vue est difficile à défendre dans notre société de la connaissance :

Ce type de savoir-faire est désormais rarement convoqué dans nos activités quotidiennes de travailleurs et de consommateurs, et quiconque se risquerait à suggérer qu'il vaut la peine d'être cultivé se verrait confronté aux sarcasmes du plus endurci des réalistes : l'économiste professionnel. Ce dernier ne manquera pas, en effet, de souligner les "coûts d'opportunité" de perdre son temps à fabriquer ce qui peut être acheté dans le commerce. Pour sa part, l'enseignant réaliste vous expliquera qu'il est irresponsable de préparer les jeunes aux professions artisanales et manuelles, qui incarnent désormais un stade révolu de l'activité économique. On peut toutefois se demander si ces considérations sont aussi réalistes qu'elles le prétendent, et si elles ne sont pas au contraire le produit d'une certaine forme d'irréalisme qui oriente systématiquement les jeunes vers les métiers les plus fantomatiques.

Par "métier fantomatique", Crawford entend les activités non directement productives et dont le résultat n'est pas tangible ou mesurable.

Qu'est-ce qu'un "bon" travail, qu'est-ce qu'un travail susceptible de nous apporter à la fois sécurité et dignité? Voilà bien une question qui n'avait pas été aussi pertinente depuis bien longtemps. Destination privilégiée des jeunes cerveaux ambitieux, Wall Street, a perdu beaucoup de son lustre. Au milieu de cette grande confusion des idéaux et du naufrage de bien des aspirations professionnelles, peut-être verrons-nous réémerger la certitude tranquille que le travail productif est le véritable fondement de toute prospérité. Tout d'un coup, il semble qu'on n'accorde plus autant de prestige à toutes ces méta-activités qui consistent à spéculer sur l'excédent créé par le travail des autres, et qu'il devient de nouveau possible de nourrir une idée aussi simple que : "Je voudrais faire quelque chose d'utile".

Il est intéressant de noter qu'il appelle cela "un bon travail". Cette qualification va au delà de l'aspect politique marxisant. Pour Crawford, il est avant tout question de bien être de l'individu qui exerce l'activité. Il explique, par exemple, sa propre expérience d'électricien :

Le moment où, à la fin de mon travail, j'appuyais enfin sur l'interrupteur ("Et la lumière fut") était pour moi une source perpétuelle de satisfaction. J'avais là une preuve tangible de l'efficacité de mon intervention et de ma compétence. Les conséquences étaient visibles aux yeux de tous, et donc personne ne pouvait douter de ladite compétence. Sa valeur sociale était indéniable.

Et la satisfaction ne venait pas seulement de cette "valeur sociale", mais aussi (surtout?) la fierté du travail bien fait :

Ce qui ne m'empêchait pas de ressentir une certaine fierté chaque fois que je satisfaisais aux exigences esthétiques d'une installation bien faite. J'imaginais qu'un collègue électricien contemplerait un jour mon travail. Et même si ce n'était pas le cas, je ressentais une obligation envers moi-même. Ou plutôt, envers le travail lui-même – on dit parfois en effet que le savoir-faire artisanal repose sur le sens du travail bien fait, sans aucune considération annexe. Si ce type de satisfaction possède avant tout un caractère intrinsèque et intime, il n'en reste pas moins que ce qui se manifeste là, c'est une espèce de révélation, d'auto-affirmation. Comme l'écrit le philosophe Alexandre Kojève, "l'homme qui travaille reconnaît dans le Monde effectivement transformé par son travail sa propre œuvre : il s'y reconnaît soi-même, il y voit sa propre réalité humaine, il y découvre et y révèle aux autres la réalité objective de son humanité, de l'idée d'abord abstraite et purement subjective qu'il se fait de lui-même."2

Et c'est le lien entre cette idée subjective de soi même et la réalité objective du résultat produit qui fait qu'il y a des activités professionnelles qui peuvent être très épanouissantes. Le revers de la médaille est évidemment l'échec impossible à dissimuler, à différence des métiers non productifs, dont les résultats sont difficiles à mesurer quantitativement et même à évaluer qualitativement :

La vantardise est le propre de l'adolescent, qui est incapable d'imprimer sa marque au monde. Mais l'homme de métier est soumis au jugement infaillible de la réalité et ne peut pas noyer ses échecs ou ses lacunes sous un flot d'interprétations. L'orgueil du travail bien fait n'a pas grand-chose à voir avec la gratuité de l'"estime de soi" que les profs souhaitent parfois instiller à leurs élèves, comme par magie.

Crawford parle de "vantardise", ce qui peut-être compris comme étant moqueur dans cette citation hors de contexte. De mon point de vue, Crawford est très dur avec les activités qu'il appelle "fantomatiques" plus haut, mais il ne s'attaque jamais aux individus qui les exercent. Il y a dans le livre quelques pages sur les postes de management3 qui expliquent bien la difficulté d'occuper ce type de poste :

Pour commencer, Jackall4 observe que, malgré la nature essentiellement bureaucratique du procès de travail moderne, les managers ne vivent nullement leur rapport à l'autorité comme quelque chose d'impersonnel. Cette autorité est en fait incarnée dans les personnes concrètes avec lesquelles ils entrent en relation à tous les niveaux de la hiérarchie. La carrière d'un individu dépend entièrement de ses relations personnelles, entre autres parce que les critères d'évaluation sont très ambigus. Par conséquent, les managers doivent passer une bonne partie de leur temps à "gérer l'image que les autres se font d'eux". Soumis sans répit à l'exigence de faire leurs preuves, les managers vivent "dans une angoisse et une vulnérabilité perpétuelles, avec une conscience aiguë de la probabilité constante de bouleversements organisationnels susceptibles de faire capoter touts leurs projets et d'être fatals à leur carrière", comme l'écrit Craig Calhoun5 dans sa recension du livre de Jackall. Ils sont ainsi systématiquement confrontés à la "perspective d'un désastre plus ou moins arbitraire".

Malheureusement, et par le Principe de Peter, les individus techniquement compétents sont poussés à suivre des carrières qui les amènent à des postes où ils finissent par perdre tout contact avec la réalité concrète du travail et se retrouvent dans les situations décrites ci-dessus. Il reste encore des entreprises où l'excellence technique est reconnue comme une filière aussi importante que le management.

D'un autre côté, il faut bien reconnaître que dans les grosses structures il est nécessaire de gérer les équipes et que quelqu'un doit assurer une vision d'ensemble des activités, même si ce sont des tâches peu épanouissantes.

Footnotes:

1

Matthew B Crawford, Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, La Découverte, 2010, 249 p., EAN : 9782707160065.

2

Alexandre Kojève Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard, Paris, 1980, p.31-32

3

Le management ici a un sens trè général et non pas strictement hiérarchique. Par ailleurs, Crawford aborde la notion de hiérarchie basée sur une compétence technique, qu'il juge assez positivement.

4

R. Jackall, "Moral mazes : The world of corporate managers", Oxford University Press, 1988

5

C. Calhoun, "Why do bad careers happen to good managers?"

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29 Apr 2015

La dégradation du travail selon Crawford

Dans "Éloge du carburateur"1, M. Crawford explique que la distinction entre travail manuel et intellectuel est artificielle et relativement récente :

"L'émergence de la dichotomie entre travail manuel et travail intellectuel n'a rien de spontané. On peut au contraire estimer que le XXe siècle s'est caractérisé par des efforts délibérés pour séparer le faire du penser. Ces efforts ont largement été couronnés de succès dans le domaine de la vie économique, et c'est sans soute de succès qui explique la plausibilité de cette distinction. Mais dans ce cas, la notion même de "succès" est profondément perverse, car partout où cette séparation de la pensée et de la pratique a été mise en oeuvre, il s'en est suivi une dégradation du travail."

Il fait ensuite le constat que cette dichotomie a été étendue à des tâches qui étaient censées être purement intellectuelles, car le point important n'est pas tellement que le travail soit physique ou symbolique, mais plutôt que l'individu le réalisant ait de la latitude dans ses actions (agency) :

"Une bonne partie de la rhétorique futuriste qui sous-tend l'aspiration à en finir avec les cours de travaux manuels et à envoyer tout le monde à la fac repose sur l'hypothèse que nous sommes au seuil d'une économie postindustrielle au sein de laquelle les travailleurs ne manipuleront plus que des abstractions. Le problème, c'est que manipuler des abstractions n'est pas la même chose que penser. Les cols blancs sont eux aussi victimes de la routinisation et de la dégradation du contenu de leurs tâches, et ce en fonction d'un logique similaire à celle qui a commencé à affecter le travail manuel il y a un siècle. La part cognitive de ces tâches est "expropriée" par le management, systématisée sous forme de procédures abstraites, puis réinjectée dans le procès de travail pour être confiée à une nouvelle couche d'employés moins qualifiés que les professionnels qui les précédaient. Loin d'être en pleine expansion, le véritable travail intellectuel est en voie de concentration aux mains d'un élite de plus en plus restreinte. Cette évolution a des conséquences importantes du point de vue de l'orientation professionnelle des étudiants. Si ces derniers souhaitent pouvoir utiliser leur potentiel cérébral sur leur lieu de travail tout en n'ayant pas vocation à devenir des avocats vedettes, on devrait les aider à trouver des emplois qui, par leurs caractéristiques propres, échappent d'une façon ou d'une autre à la logique taylorienne."

La cause sous-jacente en serait donc l'optimisation recherchée par le taylorisme. La conséquence est donc la perte de la maîtrise, des compétences du métier. Et ceci est doublement dramatique, car la créativité n'est pas une qualité des esprits géniaux, mais plutôt le résultat de compétences capitalisées dans la durée :

"En réalité, bien entendu, la véritable créativité est le sous-produit d'un type de maîtrise qui ne s'obtient qu'au terme de longues années de pratique. C'est à travers la soumission aux exigences du métier qu'elle est atteinte (qu'on songe à un musicien pratiquant ses gammes ou à Einstein apprenant l'algèbre tensorielle). L'identification entre créativité et liberté est typique du nouveau capitalisme; dans cette culture, l'impératif de flexibilité exclut qu'on s'attarde sur une tâche spécifique suffisamment longtemps pour y acquérir une réelle compétence. Or, ce type de compétence est la condition non seulement de la créativité authentique, mais de l'indépendance dont jouit l'homme de métier."

On pourrait donc conclure que la logique économique pousse à la perte de compétences, qui elle entraîne le manque de créativité, la limitation de la liberté de l'individu dans son travail et enfin la frustration. Ceci est finalement assez cohérent avec ce qu'on entend souvent autour de la machine à café au boulot.

Mais ce serait trop simpliste d'oublier que souvent les individus eux-mêmes ont très envie de quitter des tâches techniques et concrètes. Parfois on dit que c'est la seule façon de faire carrière. Il doit y avoir aussi des cas où l'on essaye d'échapper à la réalité concrète des problèmes à résoudre :

"Dans toute discipline un peu ardue, qu'il s'agisse du jardinage, de l'ingénierie structurale ou de l'apprentissage du russe, l'individu doit se plier aux exigences d'objets qui ont leur propre façon d'être non négociable. Ce caractère "intraitable" n'est guère compatible avec l'ontologie du consumérisme, qui semble reposer sur une tout autre conception de la réalité."

Le désengagement vis-à-vis du travail concret est illustré par Crawford seulement sous l'aspect de l'aliénation par le découpage en sous-tâches simples et qui ne demandent pas de compétence particulière. Il y a un tout autre mode de désengagement qui mène au même résultat : la délégation, le faire faire au lieu de faire.

Souvent, les raisons de ce choix sont les mêmes que celles de la taylorisation : faire des économies (il est plus facile d'obtenir un budget one-shot que de dégager des RH). Ce qui est brillant dans le choix de la sous-traitance est qu'on n'a même pas besoin de faire de l'ingénierie de la connaissance pour automatiser le processus de production. Il suffit de passer un contrat. On peut même appliquer des pénalités au fournisseur en cas de délais2.

La grosse différence par rapport à la taylorisation est que ce n'est pas un ensemble d'individus incompétents qui travaillent à la chaîne pour accomplir la tâche, mais plutôt des clients de moins en moins compétents qui passent des contrats dont ils sont incapables d'évaluer les résultats. Mais cela tombe bien, puisqu'en face, les fournisseurs, jadis compétents et fiers, appliquent la même recette de façon transitive et ne se privent pas d'ajouter de la taylorisation dans la formule.

Si vous avez fait construire un joli pavillon avec jardin en banlieue, vous savez de quoi je parle. Si vous avez fait faire des travaux de rénovation, aussi. J'ai aussi entendu des anecdotes similaires dans des commandes auprès de graphistes, dans le développement informatique, dans la recherche scientifique. On en est tous un peu victimes et responsables à la fois.

Nous avons perdu la fierté d'avoir un métier et de bien le faire. Merci M. Taylor.

Allez, retournez à vos PPT et vos tableurs.

Footnotes:

1

Matthew B Crawford, Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, La Découverte, 2010, 249 p., EAN : 9782707160065.

2

Et fermer les yeux pour ne pas savoir comment la pression est exercée sur l'individu qui fait le vrai travail en bout de chaîne.

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08 Apr 2015

Lingua Quintae Respublicae

"LQR : la propagande du quotidien"1 est le titre d'un livre d'Éric Hazan qui parle du développement d'une nouvelle langue à laquelle on est exposés en permanence (lisant le journal, écoutant les annonces dans le métro, le courrier en provenance de la Mairie) et "qui chaque jour efface les résistances, les différences, les opinions et travaille à la domestication des esprits". C'est la LQR, pour Lingua Quintae Respublicae.

Hazan explique comment ce langage est une propagande occulte. On pourrait s'attendre à une sorte de complot d'un petit nombre qui organiserait sa diffusion, mais ce n'est pas le cas. Pour Hazan, c'est le résultat d'une communauté de formation (ils sortent des mêmes écoles qui forment les élites de la nation) et d'intérêts des gens qui la forgent et qui la répandent.

Le livre n'est pas une étude scientifique, mais plutôt une liste d'exemples concrets interprétés par l'auteur. Il l'explique lui même ainsi :

N'étant ni linguiste ni philologue, je n'ai pas tenté de mener une étude scientifique de la LQR dans sa forme du XXIe siècle. Mais, le travail d'éditeur m'ayant fait entrer par la petite porte dans le domaine des mots, j'ai relevé dans ce que je lisais et entendais ici et là certaines expressions marquantes de la langue publique actuelle.

Il donne beaucoup d'exemples de substitution de mots par d'autres, en apparence synonymes, comme par exemple, l'utilisation de "problème" à la place de "question" (i.e. question sociale) :

A une question, les réponses possibles sont souvent multiples et contradictoires, alors qu'un problème, surtout posé en termes chiffrés, n'admet en général qu'une solution et une seule. La démonstration, toujours présentée comme objective, obéit à des règles déterminés par des spécialistes.

Aussi, l'utilisation d'anglicismes est analysée :

Dans l'évitement/substitution, le recours aux anglicismes est fréquent. C'est ainsi que préventif, sans doute trop clair, est lentement remplacé par préemptif : "L'idée d'une frappe préemptive [sur les installations nucléaires iraniennes] fait aujourd'hui l'objet d'intenses débats à Tel-Aviv" (Le Monde, 26 novembre 2004). Dans le même registre, la gouvernance a fait son entrée dans la LQR, prenant des parts de marché à gouvernement (trop étatique), à direction (trop disciplinaire), à management (trop technocratique, bien qu'assez ancien dans la novlangue).

Il analyse aussi la présentation de quelque chose comme acquis ou au contraire révolu, selon l'intérêt du moment :

Selon la vulgate néo-libérale, nous vivons dans une société post-industrielle. Faire disparaître l'industrie a bien des avantages : en renvoyant l'usine et les ouvriers dans le passé, on range du même coup les classes et leurs luttes dans le placard aux archaïsmes, on accrédite le mythe d'une immense classe moyenne solidaire et conviviale dont ceux qui se trouvent exclus ne peuvent être que des paresseux ou des clandestins.

Dans le même genre et sur la modernisation il nous propose :

Ce discours et à prendre au sérieux. Dans la stratégie de maintien de l'ordre, son but est double : faire croire que la modernisation est un processus mené dans l'intérêt de tous et qu'il n'y a ni raison ni moyen de s'y opposer; et masquer le fait inquiétant que, parmi l'"élite dirigeante", personne ne sait où l'on va.

Il donne aussi des exemples de mots qui disparaissent de la langue :

Le prolétariat est sorti du langage politico-médiatique par la même porte que la classe ouvrière : en appeler aux prolétaires de tous les pays passerait aujourd'hui pour une bouffée incontrôlée de nostalgie du goulag.

Ou des substitutions qui rendent impossibles certaines notions, car le mot substitut n'en permet pas l'usage :

Le remplacement des exploités par les exclus est une excellente opération pour les tenants de la pacification consensuelle, car il n'existe pas d'exclueurs identifiables qui seraient les équivalents modernes des exploiteurs du prolétariat.

Il y a aussi l'apparition de mots mous qui n'ont presque pas de contenu :

Mais malgré son affinité affichée pour le divers et le multiple, la langue des médias et des politiciens a une prédilection pour les mots qui sont au contraire les plus globalisants, immenses chapiteaux dressés sans le champ sémantique et sous lesquels on n'y voit rien. Je pense à totalitarisme, à fondamentalisme, à mondialisation, notions molaires comme disait Deleuze, propres à en imposer aux masses – par opposition aux outils moléculaires faits pour l'analyse et la compréhension.

Et des idées que l'on répète, à la limite de l'endoctrinement (et qui serait donc hérétique de questionner) :

La France pays des droits de l'Homme, la France terre d'accueil, ces expressions récurrentes n'ont été justifiées qu'à des moments historiques très courts : quelques mois pendant la Révolution, quelques semaines pendant la Commune de Paris - dont le ministre du travail était Leo Frankel, un ouvrier allemand, et qui avait confié à deux immigrés polonais la conduite de ses combattants. Le reste du temps – c'est à dire, en somme, presque tout le temps –, les étrangers ont été au mieux harcelés et au pire persécutés, le régime de Vichy et le pouvoir actuel étant allés jusqu'à punir sévèrement l'hébergement de ceux qui étaient/sont en situation "irrégulière".

L'objectif final de la LQR étant de dresser des écrans de fumée sur les sujets importants tout en faisant semblant de s'intéresser à la réalité des gens :

Ce fatras bien-pensant ne fait que confirmer les tendances de la démocratie libérale actuelle : retour à la bonne vieille morale, aux valeurs transcendantes et au sens du sacré, épandage éthique masquant les réalités financières, faux problèmes éthiquement montés en épingle pour éviter les questions gênantes. Un vaste territoire aménagé pour les âmes naïves, où experts, académiciens et autorités spirituelles s'expriment doctement sur le séquençage du génome humain, le transfert des joueurs de football, le traitement des déchets nucléaires ou l'enseignement du français.

En conclusion, un livre intéressant dont le seul point que j'ai trouvé gênant est celui de donner l'impression qu'il s'agit d'un phénomène qui n'existe qu'en France, ce qui, à mon avis, n'est pas le cas.

Si vous faites partie des gens occupés qui n'ont pas le temps de lire, vous pouvez toujours écouter l'émission de D. Mermet dans laquelle Hazan avait participé lors de la sortie du livre.

Footnotes:

1

LQR : la propagande du quotidien, Liber-Raisons d'agir, 2006 (ISBN 2-912107-29-6)

Tags: fr books ideas politics
01 Apr 2015

Libre arbitre : la vidéo

On m'a fait découvrir cette vidéo sur le libre arbitre. Elle est très intéressante, car elle s'appuie sur des expériences de sciences cognitives qui ont tendance à prouver que ce qui est souvent appelé décision par les humains intervient bien après que les mécanismes neurologiques dans le cerveau se mettent en route pour exécuter les actions.

Les 3 points de vue sur la question sont bien présentés :

  1. Le déterminisme dur : le libre arbitre n'existe pas, car le cerveau obéit aux lois de la physique.
  2. Le dualisme : il existe une séparation entre corps et esprit qui n'obéissent pas aux mêmes lois.
  3. Le compatibilisme : même si tout est déterministe, c'est notre cerveau qui détermine nos actions et on appelle cela le libre arbitre.

Pour moi, ces 3 points de vue, peuvent être qualifiés (pas forcément dans l'ordre) de :

a) Scientifique. b) Désespéré. c) Magique.

A vous de relier les chiffres avec les lettres et de trouver la bonne réponse. Vous trouverez quelques indices ici, ici et ici.

Regardez la vidéo, elle vaut le détour. En tout cas, la conclusion permet de comprendre pourquoi on veut tellement y croire : si les gens arrêtaient de croire à l'existence du libre arbitre, les conséquences sociales seraient terribles!

Mais ne vous en faites pas, personne ne lit ça. Ils regardent un match à la télé ou sont sur Facebook.

#lelibrearbitrenexistepas

Tags: fr ideas philo
11 Mar 2015

Ceci n'est pas un titre

Lors du dernier billet, j'ai essayé d'expliquer comment, à partir de théories mathématiques et d'analogies entre des modèles de calcul et des systèmes physiques, on peut légitimement mettre en question l'existence du libre arbitre. J'ai donnée quelques références vers des références qui expliquent tout cela bien mieux que ce que j'ai pu écrire.

Souvent, les gens qui se réclament des philosophies de type existentialiste ont beaucoup de mal à accepter ce genre de raisonnement, qui nie la possibilité de la liberté au sens classique. Ceci est complètement contradictoire avec la phrase de Sartre :

« il n'y a pas de déterminisme, l'homme est libre, l'homme est liberté »1

La philosophie, comme la sociologie, étant un sport de combat, le débat avec les philosophes du libre arbitre se termine souvent par un commentaire du genre :

"S'il n'y a pas de libre arbitre, pourquoi essayes-tu de me convaincre? Si tu crois pouvoir me convaincre, cela veut dire que tu crois pouvoir me changer et que donc tout ne serait pas déterminé à l'avance."

Au delà du fait que cette argumentation peut être démontée facilement ("j'essaye de te convaincre parce que je suis déterminé ainsi", et vlan!), elle n'a aucun intérêt. Et c'est bien dommage, car je cherche désespérément quelqu'un qui pourrait me donner des éléments scientifiques qui démontrent l'existence de ce libre arbitre tant adoré.

Souvent, les arguments pour dire que le réductionnisme scientifique ne marche pas, sont basés sur le fait que le démon de Laplace date du début du XIXè siècle et que depuis on a développé la théorie du chaos qui démontrerait que Laplace avait tort. On sait que ce raisonnement confond les notions d'aléatoire et de prédictible et qu'il est donc faux.

Si avant la séparation entre science et philosophie (à partir de Galilée), on pouvait accepter que la philosophie était le savoir, depuis que la méthode scientifique a été formalisée, on ne devrait pas accepter comme possible ce qui n'est pas réfutable.

Il est paradoxal de constater que les philosophies athées font souvent appel à cette démarche pour défendre leurs positions (et c'est très bien!). Mais quand il s'agit de remettre en cause le libre arbitre, la machine déraille et la réaction de l'athée libertaire, libertarien, libéral ou libertin est de devenir dualiste et dire qu'il ne s'agit plus de processus physiologiques (donc physiques) mais de processus psychologiques et que donc, par conséquence, les lois de la physique ne s'appliquent plus. Pour moi, ceci relève de la pensée magique et s'éloigne de la science.

Il est vrai que je suis plutôt du côté de Rutherford :

"All science is either physics or stamp collecting"2

Il y a tout de même des philosophes qui s'intéressent à l'interface entre physique et biologie et ils ont l'air de le faire sérieusement. Mais cela reste de la physique (par opposition à la métaphysique). Ces travaux font référence à la notion d'autopoïèse qui elle est liée aux concepts évoqués lors de la présentation du Game of Life.

Je serais ravi de découvrir des approches scientifiques qui expliqueraient la dualité entre corps et âme, entre physiologie et psychologie, entre matériel et spirituel.

Et non, l'émergence ne compte pas, car le concept philosophique de "le tout est plus que la somme de ses parties" ne va pas bien loin et quand on fouille un peu dedans on se rend compte que cela reste explicable par les propriétés de la matière.

Il ne s'agit pas là d'une vision du monde qui manque de poésie, puisque nous sommes de la poussière d'étoiles! Malheureusement, il y a des allergiques à la poussière un peu partout.

Je comprends l'angoisse de l'existentialiste (à ne pas confondre avec l'angoisse existentielle) qui se rend compte de l'absence de libre arbitre, mais une fois qu'on a compris ça, ce serait de la mauvaise foi (de la vraie, et non pas celle de l'existentialisme) que de continuer à s'y opposer. Si ce n'est pas de la mauvaise foi, c'est alors peut-être un manque de compréhension de la notion d'auto-référence, avec laquelle on peut expliquer certains phénomènes d'émergence, le mécanisme de la conscience, etc.

Mais il est bien connu que la première chose qu'il faut faire pour comprendre l'auto-référence est de comprendre l'auto-référence! Et comme l'écrivait Kurt G. dans son journal intime un matin avant un départ en randonnée, "on n'est pas sortis de l'auberge"!

Footnotes:

Tags: fr ideas philo
22 Feb 2015

Le jeu de la vie

C'est ainsi, Game of Life (GoL), qu'a été baptisé l'automate cellulaire imaginé par John Conway. Un automate cellulaire est un modèle où étant donné un état, on passe à l'état suivant en appliquant un ensemble de règles.

Dans le cas du GoL, le modèle est une grille (un quadrillage) composée de cellules qui sont, soit allumées (vivantes), soit éteintes (mortes). Les règles pour calculer l'état suivant sont simples1 :

En fonction de la taille de la grille et de la configuration initiale des cellules, l'évolution du jeu peut donner des résultats très intéressants. En voici un exemple tiré de Wikipédia :

Au delà de son caractère amusant, le GoL présente des propriétés mathématiques très riches. Des structures stables et périodiques peuvent apparaître. Certaines ont même des noms très sympathiques : grenouilles, jardins d'Éden, etc.

Encore plus intéressant est le fait qu'il s'agit d'une machine de Turing universelle :

"il est possible de calculer tout algorithme pourvu que la grille soit suffisamment grande et les conditions initiales correctes"

et de là, il en découle, de par le problème de l'arrêt, qu'on ne peut pas prédire le comportement asymptotique de toute structure du jeu de la vie. Il s'agit d'un problème indécidable au sens algorithmique.

"Dire qu'un problème est indécidable ne veut pas dire que les questions posées sont insolubles mais seulement qu'il n'existe pas de méthode unique et bien définie, applicable d'une façon mécanique, pour répondre à toutes les questions, en nombre infini, rassemblées dans un même problème."2

On voit bien que, même une machine complètement déterministe et extrêmement simple, peut être imprédictible.

Il y en a qui seraient tentés de dire qu'une telle machine pourrait avoir du libre arbitre. Bien entendu, les gens sensés, auront un sourire narquois en entendant de tels propos. Une grille de morpion qui voudrait s'émanciper!

Si on revient sur le côté amusant du jeu, on pourrait avoir envie d'en faire un objet physique. Avec l'électronique bon marché pour les bricoleurs, il ne doit pas être difficile de brancher quelques (centaines de) LEDs et les piloter avec un Arduino contenant le programme avec les règles du GoL.

On pourrait même utiliser une webcam pour prendre une photo de l'environnement, la binariser et en faire ainsi la configuration initiale pour la grille.

De là, il est difficile d'échapper à la tentation du selfie pour initialiser le système. Est-ce que si on sourit sur la photo ça converge vers un jardin d'Éden3? Est-ce que si on fait la gueule ça génère des canons? Est-ce que si on prend Papi en photo ça nous fait des Mathusalems?

Et sans s'en rendre compte, on a construit un système physique qui réagit à l'expression d'un visage et dont l'état asymptotique est indécidable! C'est presque le niveau de développement social d'un bébé de quelques semaines. Et on peut le débrancher la nuit4!

Footnotes:

1

Comme d'habitude, Wikipédia est votre amie : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_de_la_vie .

3

En fait, c'est impossible par définition, mais bon …

4

Ce n'est pas encore aussi abouti que ce que Charlotte proposait la semaine dernière, mais on s'en approche.

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18 Feb 2015

Comment choisir sa maîtresse

Benjamin Franklin a la réponse : il faut la choisir âgée. Dans une lettre1 à un ami anonyme, il en donne 8 raisons :

  1. Grâce à leur expérience, les femmes âgées ont une conversation bien plus intéressante que les jeunes filles2.
  2. Quand les femmes cessent d'être belles, elles ont tout intérêt à être gentilles avec les hommes.
  3. Il y a moins de chances d'avoir des enfants avec elles, ce qui élimine beaucoup de soucis3.
  4. Elles sont réservées et discrètes, ce qui protège la réputation de l'homme qui ne veut pas que l'affaire soit connue4.
  5. On pourrait croire que l'âge avancé serait un inconvénient pour ce qui concerne la beauté, mais Franklin suggères que, les bipèdes commençant à vieillir par le haut du corps, il suffit d'un panier pour cacher un visage ridé. On ne peut ensuite plus faire la différence entre une jeune et une vieille.
  6. Le pêché est moindre. Se conduire de façon débauchée avec une jeune vierge peut lui ruiner la vie.
  7. Il y a moins de culpabilité à rendre un vieille femme heureuse qu'à rendre une jeune fille misérable.
  8. Et enfin, elles sont si reconnaissantes!4

Des conseils du tonnerre – comme d'habitude – de la part de l'ami Ben!

Ayant connu la foudre déchaînée5 de femmes blessées involontairement, après avoir écrit ça, je craignais pour ma sécurité physique et celle du disque dur qui héberge ce fichier. J'ai donc pensé à proposer un texte équivalent mais avec le point de vue d'une femme. Je me disais que Virginia Wolf aurait pu écrire quelque chose là-dessus, mais je n'ai rien trouvé. Dans mes recherches, je suis tombé sur des témoignages émouvants, comme par exemple celui-ci6 :

Cela fait plusieur année que mon couple ne va plus. Je frequente un club de tennis et la je suis tombée follement amoureuse de mon prof de tennis. Je suis prete a tout quitter […]

Mise à jour : La mon maris est rentre du travail il me prend trop la teteje le quitte […]

Mise à jour 2: LILI je suis actuellemnt chez une copine mon mari me cherche partout […]

Ah, ces femmes qui font tout dans leur vie sur un coup de tête! Le père Léon constatait déjà :

Pour choisir un amant, il suffit qu'on en ait envie. Et pour choisir un mari, combien le jugement serait plus sûr et plus libre, si l'on avait d'abord eu l'amant.7

Et les mots de Balzac complétaient8 :

Il est plus facile d'être amant que mari, par la raison qu'il est plus difficile d'avoir de l'esprit tous les jours que de dire de jolies choses de temps en temps.9

J'ai encore donné la parole à des hommes! Il y a aussi des femmes organisées et qui réfléchissent avant d'agir. Les conseils de professionnelles10 ne manquent pas :

La routine qui pèse sur votre couple vous pousse à chercher ailleurs de l'herbe plus verte sans pour autant quitter votre époux. Dites-vous que ce n'est pas un acte anodin et qu'il vous faudra inventer constamment des excuses. Vivre une double vie n'est pas de tout repos ! Êtes-vous réellement prête ?

Après ce type de mise en garde, les conseils n'ont rien à envier à ceux de Franklin :

Que les choses soient claires dès le début et pour les deux partenaires : votre relation n'est que charnelle. Cela ne vous empêche évidemment pas d'être avec un homme intelligent et respectueux avec qui vous avez des intérêts communs. Mais cette relation ne peut a priori pas être sentimentale.11

Ou encore mieux ici, même si on ne parle pas de panier sur la tête :

Son âge :

Plus de 18 ans, pour commencer, au cas où vous auriez un doute. Pas l'âge de votre aîné, si vous en avez un, pas non plus celui de votre aînée, ou alors ne lui présentez jamais. En dessous de 28 ans, c'est beau et ferme, mais c'est encore à l'école (et ça aime pas bien qu'on aille l'y chercher). Entre 30 et 40, c'est pas mal mais en général maqué et encore amoureux. Après 40 c'est un peu blasé, ou fraîchement divorcé. Après 50 c'est moins risqué, mais aussi moins vigoureux.

Et voici un aspect que Franklin n'avait pas pris en compte :

Pensez à vos escapades amoureuses. En période d'hiver, privilégiez les propriétaires de véhicules disposant d'un chauffage et les usagers des transports en commun. L'été, mention très bien pour les scooters et les voitures climatisées (à condition qu'il y ait des préservatifs dans la boîte à gants et pas de sièges auto à l'arrière).

Mais pas de référence aux joies de la brouette. Étonnant, non?

Footnotes:

1

J'avais découvert ce texte par hasard dans une librairie : L'art de choisir sa maîtresse et autres conseils indispensables, trad. Marie Dupin, Éd. Finitude, 2011 - ISBN 978-2-912667-95-3

2

Je confirme.

3

Pour rappel, on parle de maîtresse ici, pas d'épouse.

4

Les temps ont changé depuis Franklin.

5

Et sans paratonnerre.

6

Je garde l'orthographe originale, qui reflète bien l'état d'esprit de l'héroïne.

7

Léon Blum, Du Mariage, 1907.

8

Chez qui on croirait sentir l'aigreur du mari cocu, mais qui aurait été dans l'autre camp le plus souvent.

9

Balzac, Études analytiques : Physiologie du mariage ou Méditations de philosophie éclectique sur le bonheur et le malheur conjugal, Aphorisme XLIX, 1824–1829.

10

Professionnelles du conseil. Un peu comme ici.

11

Note to self : envoyer ça à Charlotte.

Tags: fr books philo humor life
04 Feb 2015

expert.py

L'autre jour je discutais avec mon ami Gilles sur la frustration ressentie face à des services clients qui n'en sont pas. Que ce soient des avatars appelés conseillers virtuels ou des humains qui suivent une procédure préétablie pour essayer de vous donner une réponse à une question posée, il me disait que c'est pareil. Et qu'en fait, il vaudrait mieux qu'il n'y ait pas d'humain dans le système, car ça doit être désagréable pour eux de recevoir des remarques méprisantes voire des insultes de la part des clients.

Notre conversation a dérivé vers l'idée générale d'automatisation du travail pour enfin arriver au constat que les possibilités ne se limitent pas à des tâches répétitives pour lesquelles des procédures explicites peuvent être établies. Ce qui, il y a quelques années, était encore considéré comme de la science fiction ou des utilisations de l'intelligence artificielle qui restaient au niveau de la démonstration, est en train de devenir presque banal.

Ceux qui utilisent les services de Google, Twitter ou Facebook sont maintenant habitués à la reconnaissance faciale sur les photos ou l'interprétation automatique du langage naturel pour proposer des publicités ciblées.

Plus insidieux encore est le filtrage des messages reçus (priority inbox dans Gmail ou sur les flux de messages Facebook ou Twitter) qui ne présentent que ce qui est censé les intéresser en fonction d'un ensemble de critères qui leur conviennent mais qu'ils n'ont pas choisi explicitement. Cela a rappelé Gilles des idées qu'il avait eues il y a quelques années quand il participait à des commissions de choix où siégeaient des experts. Je ne dévoilerai de quoi s'agissait-il dans ces commissions, car ce qui vient pourrait être considéré comme un manque de professionnalisme de la part des experts mais aussi de Gilles.

Je n'ai pas les éléments pour défendre les experts, mais à la décharge de mon ami Gilles, je dirais qu'il était jeune et qu'il ne se rendait pas compte des enjeux de haute importance qui y étaient traités. Dans ces commissions il s'agissait d'évaluer des dossiers. Beaucoup de dossiers en peu de temps. Souvent, le panel d'experts était composé de vrais experts, très bons, mais pas du domaine concerné. Apparemment, ceci n'était pas considéré comme un problème par les méta-experts qui organisaient les commissions.

Malheureusement, cette situation transformait les évaluations en une sorte de mélange de loterie combinée à l'inquisition où chaque expert essayait de s'en sortir sans être trop ridicule.

Au bout que quelques commissions, Gilles croyait être capable d'anticiper les réactions de la plupart des experts (ils étaient des experts professionnels et donc souvent les mêmes). La quantité de dossiers à évaluer poussait les experts à faire très vite et malheureusement à bâcler le travail. La plupart fonctionnaient en pilotage automatique. Ceci désespérait Gilles. J'ai d'autres amis qui auraient eu envie de frapper certains des experts, mais l'ami dont il est question ici n'est pas un garçon violent. Il est plutôt passionné d'informatique et donc sa frustration vis-à-vis des experts s'est traduite par une envie de les remplacer par des algorithmes. En séance, il regardait les experts et voyait des logigrammes.

La frustration augmentant, ces logigrammes sont devenus du pseudo-code. Et de là, il n'a pas pu s'empêcher de franchir le pas et de coder chaque expert en séance. Il a fait de l'eXtreme programming en temps réel. Il est comme ça, mon ami : ce sont les méthodes à Gilles.

Certains des experts étaient parfaitement clairs ordonnés et élégants. Ils les remplaçait par un script Python. D'autres faisaient beaucoup attention à la forme et peu au fond des dossiers, ils devenaient des classes Ruby.

Certains, on le voyait, avaient été comme cela, mais appartenaient à une autre époque. Ils méritaient du Java. D'autres étaient, malgré tout efficaces, mais parfois difficiles à suivre. Il leur accordait du C++. D'autres étaient rapidement débordés dès qu'ils avaient plusieurs dossiers à traiter. Ils finissaient en script Matlab.

D'autres, avaient une telle mémoire des dossiers qu'ils avaient traités pendant des années, qu'il fallait les remplacer par du SQL. D'autres étaient incompréhensibles, désordonnés, embrouillés. Ils méritaient à peine un peu de Perl, voir de l'awk et il avait envie de les envoyer vers /dev/null.

Il était déçu de ne jamais avoir pu se servir du Lisp, qu'il réservait pour le jour où il croiserait un expert qui se conduirait de façon élégante, intelligente et iconoclaste, mais juste.

Gilles a beaucoup mûri professionnellement et a fait reconnaître ses compétences. D'ingénieur junior il est passé architecte, puis chef de projet. Il a récemment atteint la sublimation et a été nommé responsable technico-commercial.

Tags: fr humor programming rant
24 Dec 2014

Les hommes occupés

Un commentaire à mon billet sur le travail disait :

"Le travail c'est la dignité de l'homme, oui. Parce que travailler c'est apporter à la communauté son œuvre, son intelligence dans le savoir-faire, ce qu'on appelle, ou qu'on appelait, l'”art”. Chacun est en possession d'un trésor personnel à donner à la société."

Je pense comprendre le sens du commentaire, mais je ne partage pas l'idée que la dignité de l'individu dépende du travail qu'il entreprend ou de sa contribution à la société. Qu'en est-il du chômeur, du chasseur-cueilleur, du retraité ?

Ce point de vue constitue un vrai problème dans nos sociétés supposées méritocratiques, où la valeur de l'individu est directement corrélée à sa réussite professionnelle. En fait, comme le dit Alain de Botton dans un TED Talk, on est dans une société de snobs :

Qu'est ce qu'un snob ? Un snob est une personne qui prend une petite partie de vous, et qui s'en sert pour établir une vision générale de qui vous êtes. Ceci est du snobisme.

Et le type de snobisme le plus commun qui existe aujourd'hui est le snobisme au niveau professionnel. On le rencontre après seulement quelques minutes à une fête, quand on vous pose cette célèbre question du 21e siècle, «  Qu'est ce que vous faites ?  » Et selon votre réponse à cette question, les gens sont soit heureux de vous rencontrer, ou ils regardent leurs montres et s'excusent.

L'opposé d'un snob c'est votre mère. Pas nécessairement votre mère, ni la mienne. Mais, en fait, la mère idéale. Quelqu'un qui ne se préoccupe pas de vos accomplissements.

De Botton fait bien de préciser qu'il parle d'une mère idéale, car la plupart des mères1 sont tombées aussi dans le piège de l'anxiété de statut et élaborent des plans de carrière pour leurs rejetons dès leur plus tendre enfance, souvent sans prendre la peine de leur demander leur avis.

Cependant Alain de Botton a tort quand il dit qu'il s'agit d'un phénomène récent. En effet, pendant ma tentative de manger tout le paquet de madeleines, quand je terminais Sodome et Gomorrhe, j'ai trouvé ça :

"… On voit bien qu'il faut que vous n'ayez rien à faire", ajoutait-il en se frottant les mains. Sans doute parlait-il ainsi par mécontentement de ne pas être invité, et aussi à cause de la satisfaction qu'ont les "hommes occupés" – fût-ce par le travail le plus sot – "de ne pas avoir le temps" de faire ce que vous faites.

Certes il est légitime que l'homme qui rédige des rapports2, aligne des chiffres3, répond à des lettres d'affaires4, suit les cours de la Bourse5, éprouve quand il vous dit en ricanant : "C'est bon pour vous qui n'avez rien à faire", un agréable sentiment de supériorité. Mais celle-ci s'affirmerait tout aussi dédaigneuse, davantage même (car dîner en ville l'homme occupé le fait aussi), si votre divertissement était d'écrire Hamlet ou seulement de le lire. En quoi les hommes occupés manquent de réflexion. Car la culture désintéressée qui leur paraît comique passe-temps d'oisifs quand ils la surprennent au moment qu'on la pratique, ils devraient songer que c'est la même qui dans leur propre métier met hors de pair des hommes qui ne sont peut-être pas meilleurs magistrats ou administrateurs qu'eux, mais devant l'avancement rapide desquels ils s'inclinent en disant : "Il paraît que c'est un grand lettré, un individu tout à fait distingué".

Footnotes:

1

Et des pères aussi, mais ça ne surprendra personne, car il est connu de tout le monde que seulement les mères se préoccupent du bien être des enfants ! C'est biologique, il paraît.

2

Word

3

Excel

4

Outlook

5

Internet Explorer

Tags: fr books ideas philo
10 Dec 2014

Qu'est-ce que le travail ?

Telle est la question que Russell se pose dans les premières pages de "Éloge de l'oisiveté"1. Il y répond à la manière d'un logicien, de façon concise, mais précise et complète :

Il existe deux types de travail : le premier consiste à déplacer une certaine quantité de matière se trouvant à la surface de la terre, ou dans le sol même ; le second, à dire à quelqu'un d'autre de le faire. Le premier type de travail est désagréable et mal payé ; le second est agréable et très bien payé. Le second type de travail peut s'étendre de façon illimitée : il y a non seulement ceux qui donnent des ordres, mais aussi ceux qui donnent des conseils sur le genre d'ordres à donner. Normalement, deux sortes de conseils sont données simultanément par deux groupes organisés : c'est ce qu'on appelle la politique. Il n'est pas nécessaire pour accomplir ce type de travail de posséder des connaissances dans le domaine où l'on dispense des conseils : ce qu'il faut par contre, c'est maîtriser l'art de persuader par la parole et par l'écrit, c'est-à-dire l'art de la publicité.

Voilà en quelques lignes une critique, avec une bonne dose d'ironie, de l'absurdité du travail pour le travail, des théories politiques (marxistes ou capitalistes) sous-jacentes, de l'inutilité de certaines couches hiérarchiques qui rappelle le Principe de Peter.

Mais Russell nous aide aussi à comprendre ce qui pousse les humains à accepter ce jeu sans beaucoup de sens. Il le fait avec empathie pour les exploités manipulés (les pauvres dans ses termes) et les exploités passionnés (par exemple scientifiques et ingénieurs) :

Le fait est que l'activité qui consiste à déplacer de la matière, si elle est, jusqu'à un certain point, nécessaire à notre existence, n'est certainement pas l'une des fins de la vie humaine. Si c'était le cas, nous devrions penser que n'importe quel terrassier est supérieur à Shakespeare. Deux facteurs nous ont induits en erreur à cet égard. L'un, c'est qu'il faut bien faire en sorte que les pauvres soient contents de leur sort, ce qui a conduit les riches, durant des millénaires, à prêcher la dignité du travail, tout en prenant bien soin eux-mêmes de manquer à ce noble idéal. L'autre est le plaisir nouveau que procure la mécanique en nous permettant d'effectuer à la surface de la terre des transformations d'une étonnante ingéniosité.

Russell critique aussi le culte de l'efficacité qui nous mène à justifier une unique facette de l'activité économique générée par le travail :

Autrefois, les gens étaient capables d'une gaieté et d'un esprit ludique qui ont été plus ou moins inhibés par le culte de l'efficacité. L'homme moderne pense que toute activité doit servir à autre chose, qu'aucune activité ne doit être une fin en soi. Les gens sérieux, par exemple, condamnent continuellement l'habitude d'aller au cinéma, et nous disent que c'est une habitude qui pousse les jeunes au crime.

Par contre, tout le travail que demande la production cinématographique est respectable, parce qu'il génère des bénéfices financiers. L'idée que les activités désirables sont celles qui engendrent des profits a tout mis à l'envers. Le boucher, qui vous fournit en viande, et le boulanger, qui vous fournit en pain, sont dignes d'estime parce qu'ils gagnent de l'argent ; mais vous, quand vous savourez la nourriture qu'ils vous ont fournie, vous n'êtes que frivole, à moins que vous ne mangiez dans l'unique but de reprendre des forces avant de vous remettre au travail. De façon générale, on estime que gagner de l'argent, c'est bien, mais que le dépenser, c'est mal.

Pour actualiser ces propos2, on pourrait remplacer cinéma par jeux vidéo ou réseaux sociaux, mais la schizophrénie reste la même.

Bon, tout ça est très bien, mais vous avez déjà perdu pas mal de temps à lire ceci (et moi à l'écrire). Allez, au boulot !

Footnotes:

2

La première édition de Éloge de l'oisiveté a paru en 1932.

Tags: fr books ideas philo
13 Sep 2014

Valeur, norme, repère, principe

Avec Charlotte nous avons des discussions sur la vie, les projets, l'éducation des enfants et le whisky. Lors d'une de nos soirées hédonistes, après avoir parlé de son plombier bouddhiste, nous avons feuilleté quelques livres que j'avais pris à la bibliothèque en cherchant des textes sur la méditation.

C'est la faute au plombier, qui recommande l'amour tantrique à toutes ses clientes. Sa souplesse de yogi m'a rendu jaloux et je me suis retrouvé dans le rayon développement personnel à choisir entre Christophe André et Matthieu Ricard. Ne pouvant pas me résoudre à emprunter le best of Psychologies Magazine, j'ai cherché le livre qui avait l'apparence la plus académique :

Philippe Lefèvre, "Choisir sa vie. Vivre ses choix". Ed. Chronique Sociale, 2001, ISBN 2-85008-409-3

Je l'admets, le titre n'est pas très académique, mais la mise en page est bien mauvaise (on aurait pu faire ça avec Word) et il y a une bibliographie contenant les oeuvres de Rilke, Foucault et Jung.

Sous son aspect austère, je m'attendais à trouver la recette du bonheur au détour d'une page. Et bien non. Ça commence par un lexique de 3 pages pour bien définir la terminologie utilisée. Et voici ce que l'on trouve à l'entrée Valeur, norme, repère, principe :

La norme ainsi que nos valeurs font partie des repères qui nous permettent de nous situer et faire nos choix. La norme est notre premier repère fonctionnel, avant même que nos valeurs ne soient mises en place : elle est pratique, car connue et reconnue de tous, mais elle ne laisse pas de place à la spécificité et à l'unicité de la personne. Des valeurs nous sont d'abord transmises par nos parents et d'autres éducateurs, puis nos propres valeurs se mettent en place, au fur et à mesure de nos expériences. Les principes s'appuient sur nos valeurs pour déterminer des règles de vie, qui nous aident à étayer nos choix et nos comportements.

Donc face à un choix, on a en gros 2 possibilités :

  1. Utiliser des principes, qui eux, s'appuient sur des valeurs.
  2. Ne pas réfléchir et faire comme les autres (la norme). C'est pratique.

Quelle angoisse! Et vous, préférez-vous 1 ou 2?

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26 Jan 2014

Madeleine challenge 2014

2013 était l'année Marcel pour plusieurs raisons (au moins 21). J'en retiens une : cent ans sont passés depuis la publication du premier volume d'À la recherche du temps perdu.

J'ai dans ma bibliothèque depuis moins de cent ans les sept romans qui composent cette œuvre (en trois tomes) et je n'ai jamais réussi à dépasser la page 30 du premier.

Les raisons de cette procrastination sont nombreuses, notamment le manque de temps, car longtemps, je me suis couché de bonne heure.

Mais il y a des moments où un homme doit prendre ses responsabilités. Le moment est venu pour moi. Je me suis lancé le défi de lire les 7 romans en 2014.

J'en suis déjà à la page 60 du premier, ce qui est encourageant : 100% de plus que lors des tentatives précédentes.

La version dégradée du défi consiste à terminer Du côté de chez Swann avant 2019, année de la publication de la version modifiée de celui-ci et aussi de la publication d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs.

Footnotes:

1

Peut-être 3 si on considère les 100 ans de l'obtention du baccalauréat par Pagnol comme un grand moment de l'histoire. Ou à défaut de ça, les 40 ans de l'Oscar de Marlon Brando pour Le parrain.

Tags: fr books
20 Oct 2013

Chaos, hasard et libre arbitre

J'ai assisté hier à une conférence sur les fondements de la liberté pendant laquelle j'ai cru détecter une confusion – qui arrive souvent – entre chaos et non-déterminisme. Il a été malheureusement impossible de débattre du sujet, et je me suis senti frustré de ne pas pouvoir exposer clairement mes propos en quelques phrases, car je ne m'y étais pas préparé.

Comme ce n'est pas la première fois que j'échoue à expliquer pourquoi le chaos n'a rien d'aléatoire, j'ai décidé de rédiger un argumentaire auquel je pourrais me référer si la situation se présente à nouveau.

Je n'ai jamais vraiment manipulé le concept de chaos dans un cadre concret, mais cela m'a beaucoup intéressé à la suite de ma thèse ou j'ai travaillé sur la modélisation et l'inversion de systèmes non-linéaires. Les outils mathématiques développés dans l'étude des systèmes dynamiques non-linéaires permettent de modéliser le chaos.

Heureusement, on n'a pas besoin d'être un spécialiste de la physique et des mathématiques pour comprendre le chaos.

"La théorie du chaos - vers une nouvelle science" de James Gleick est une très bonne introduction pour les néophytes, mais un peu trop romancée à mon goût. Je préfère nettement "Dieu joue-t-il aux dés? - Les mathématiques du chaos" d'Ian Steward.

Comment définir le chaos simplement? Ian Steward dans la préface de la 2è édition de son livre le dit comme ceci :

On parle de chaos lorsqu'un système déterministe (c'est-à-dire non aléatoire) se comporte de manière apparemment aléatoire […].

Un système ou un phénomène chaotique est donc parfaitement déterministe, même s'il n'est pas prévisible. La non prévisibilité de son état futur vient de son extrême sensibilité aux changements, même minimes, sur son état présent. C'est ce que populairement on appelle "effet papillon" et qui rend extrêmement difficile la prévision météorologique, par exemple.

Il n'est donc pas étonnant que le vrai chaos dérange énormément ceux qui tiennent certaines positions philosophiques sur la liberté des individus. S'il n'y a pas de vrai phénomène aléatoire dans l'univers, et que tout est déterministe, les individus ne sont pas libres, mais parfaitement déterminés. La liberté ne serait qu'une illusion causée par la non prévisibilité du chaos. Ou comme le disait Spinoza, on se croit libres parce que l'on ignore les causes qui nous déterminent.

En effet, on peut raisonner comme cela au niveau macroscopique. En revanche, au niveau quantique, il pourrait ne pas en être ainsi. En effet, selon le principe de superposition, un système pourrait se trouver dans plusieurs états à la fois (le chat de Schrödinger). Et ceci n'est pas un état traduisant une ignorance vis-à-vis de l'état réel du système, mais bien une indétermination intrinsèque au système.

Cette interprétation a donnée lieu à beaucoup de polémiques, dont la plus connue est celle entre Einstein et Born, que Stewart rappelle dans le chapitre 16 intitulé "Le chaos et la mécanique quantique" :

Quand Einstein énonça sa remarque fameuse sur Dieu qui ne jouerait pas aux dés, il faisait allusion à la mécanique quantique. Celle-ci diffère par bien des points de la mécanique "classique" de Newton, Laplace et Poincaré sur laquelle la discussion a principalement porté jusque là. Einstein formula cette assertion devenue célèbre dans une lettre au physicien Max Born dont voici un plus ample extrait :

"Vous croyez en un Dieu qui joue aux dés et moi dans un ordre et des lois absolus régnant sur un monde qui existe objectivement et que j'essaie de saisir, même si c'est extrêmement spéculatif. J'y crois fermement, mais j'espère que quelqu'un le découvrira plus concrètement ou, au moins, d'une façon un peu plus tangible que tout ce à quoi j'ai abouti. Même les importants succès initiaux de la théorie quantique ne me font pas croire en un jeu de dés, fondamental, bien que je réalise parfaitement que vos collègues plus jeunes n'y voient là qu'un signe de sénilité"

On ne connaissait pas le chaos à l'époque d'Einstein, mais c'était là le genre de concept qu'il recherchait. Ironiquement, la représentation du hasard par un dé qui roule fait appel à la mécanique déterministe et classique, non quantique, et le chaos lui-même est un concept avant tout de mécanique classique.

Je ne soutiens pas que l'aléatoire n'existe pas, mais si je devais parier, je serais du côte d'Einstein.

Mais si nous supposons que le hasard quantique existe, le libre arbitre existe aussi. Ceci a été démontré par Conway et Kochen en 2006 à partir de l'hypothèse "spin". C'est le théorème du libre arbitre dont le corollaire est très bien résumé dans l'article de Wikipédia :

Cela ne signifie pas que le déterminisme soit faux, en effet si l'univers est entièrement déterministe, alors il n'y a pas de libre arbitre chez les humains et le théorème ne s'applique pas. Mais s'il existe un indéterminisme (un libre arbitre) chez les humains, il en existe aussi un pour les particules élémentaires.

En conséquence, tant que l'hypothèse "spin" n'est pas confirmée ou infirmée, croire dans la possibilité de liberté des individus est seulement une position philosophique. Et de toute façon, cette explication permet de ne pas angoisser trop :

Dans une de ses conférences consacrée au thème du voyage temporel, l'astronome Sean Carroll explique que le concept de libre arbitre n'est qu'une approximation et qu'il est en théorie tout à fait compatible avec le déterminisme. […]

"Beaucoup de gens sont perturbés par l'idée de déterminisme : cette idée selon laquelle si on connaît l'état exact de l'univers à un instant donné, on peut prédire le futur.

Je voudrais vous dire: ne soyez pas perturbés. Le déterminisme, ce n'est pas un vieil homme sage qui dirait: « Voici ce qui va se produire dans le futur et tu n'y peux absolument rien ». Ce n'est pas cela du tout.

L'idée de déterminisme c'est plutôt un garnement qui dirait: «Je sais ce que tu vas faire dans un instant». Alors vous lui demandez: «Admettons. Alors, qu'est-ce que je vais faire ? » et il répond: «Ça je ne peux pas te le dire ». Puis vous faites quelque chose et le gamin s'exclame: « Je savais que tu ferais ça »."

Selon Caroll, le déterminisme n'est donc pas incompatible avec le libre arbitre puisqu'aussi longtemps que nous ignorons ce que nous ferons dans le futur, l'éventail des possibles reste au moins théoriquement réalisable, de telle sorte qu'un futur non-déterministe nous parait tout à fait équivalent.

Enfin, grâce à Dieu, je suis athée, parce comme le dit Stewart dans l'épilogue de son livre :

Si Dieu jouait aux dés … il gagnerait!

Tags: fr ideas philo science
29 Jun 2013

Bovarysme

La première fois que j'ai vu une référence au bovarysme c'est dans le livre de Daniel Pennac "Comme un roman". Le droit au bovarysme est le sixième droit imprescriptible du lecteur parmi les dix que Pennac nous accorde.

Cette maladie textuellement transmissible produit un état dans lequel "le cerveau prend (momentanément) les vessies du quotidien pour les lanternes du romanesque".

Le mot important ici est momentanément.

Wikipédia en donne une définition plus complète dont par pudeur et aussi par convenance personnelle, je ne retiens que la première moitié : "un état d’insatisfaction, sur les plans affectifs et sociaux, qui se rencontre en particulier chez certaines jeunes personnes névrosées, et qui se traduit par des ambitions vaines et démesurées, une fuite dans l’imaginaire et le romanesque".

Je remarque ici la référence à l'âge de la personne atteinte de la maladie. Pennac fait aussi référence aux lectures des adolescents en décrivant le bovarysme.

C'est peut-être le couplage avec une autre maladie, l'adulescence, qui fait que le bovarysme déborde dans certains cas jusqu'à la quarantaine, voire au delà dans le cas que j'ai en tête. L'adulescence est donc "le prolongement de l’adolescence en dépit de l’entrée dans l’âge adulte".

Si je parle de bovarysme est que quelqu'un, dont je tairai le nom pour éviter un procès en justice, m'a parlé d'une connaissance qui avait essayé de soigner son conjoint de cette terrible maladie.

Au début, le thérapeute improvisé n'avait pas fait le bon diagnostic, d'autant plus que le malade était incapable de lire un livre. En effet, étant plutôt adepte de la tradition orale, le patient avait tendance à s'identifier avec les malheurs des autres. En soi, cela n'est pas une mauvaise chose quand il s'agit d'empathie, mais ici ce n'était pas le cas. En tout cas, le malade avait démontré de manquer terriblement d'empathie.

J'ai eu du mal à croire que quelqu'un puisse être atteint simultanément de bovarysme, adulescence et manque totale d'empathie, mais on m'a assuré que le conjoint-soignant a toujours fait preuve d'intégrité et d'honnêteté. Et en fait, c'est ça qui l'a sauvé. Efin, ça et sa naïveté.

En effet, cette triple maladie nécessitait plus qu'une tri-thérapie, et le pauvre epoux-psy a fini épuisé et mal-en-point. Et comme toujours dans le bovarysme, il a été accusé d'avoir inoculé le virus au malade. Ce qui aurait pu être une très mauvaise chose s'est transformé en un soulagement, car le bovarysme ayant atteint son climax, le malade a contredit Pennac : "ce n'est pas parce que ma fille collectionne les Harlequin qu'elle finira en avalant l'arsenic à la louche".

Et Day Tripper prit a ticket to ride et maintenant Dr. Robert lui tient la louche.

Doctor Robert, you're a new and better man

He helps you to understand

He does everything he can, Doctor Robert

Mais comme le dit Pennac, "jamais dupes, toujours lucides, nous passons notre temps à nous succéder à nous mêmes, convaincus pour toujours que madame Bovary c'est l'autre".

Je retourne vers "La magnitud de la tragèdia" de Quim Monzó.

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